Pensez-vous
que ceux qui ont cheminé avec le président Biya sont disqualifiés de la course
à sa succession ?
Le problème n’est pas d’avoir
été au Rdpc ou d’avoir participé au gouvernement. Le problème est de savoir si
on est un opposant structurel, c’est-à-dire par rapport à la structure
néocoloniale du régime ou du pouvoir ou un opposant conjoncturel au sein de la
grande famille de l’Union camerounaise. Ce qui caractérise justement ce terme
de l’opposition c’est qu’il englobe tout, c’est-à-dire des opposants au système
néocolonial qu’on retrouve généralement dans la grande famille patriotique et
les autres opposants au régime de Paul Biya. Mais, ceux-ci, sur le plan
idéologique et sur le plan de la trajectoire politique se retrouvent en réalité
dans le camp du Bloc démocratique camerounais, c’est-à-dire des personnalités
ou des groupes politiques qui considèrent que ce n’est pas le système
néocolonial qui est la cause fondamentale des problèmes du Cameroun, mais la
bonne gouvernance.
Plus
concrètement, pensez-vous que lorsqu’on a été militant du parti au pouvoir ou
ministre, on perd une certaine légitimité quant à la conquête du pouvoir ?
La légitimité du pouvoir
c’est le peuple qui la donne. C’est le peuple, en dernière analyse, qui
décide de qui doit diriger notre pays ou
pas. Ce qu’on peut dire concernant ces ouvriers de la 25ème heure, c’est qu’il
y’a dans leur attitude des comportements plus ou moins décents ou acceptables.
On ne peut pas avoir cautionné la répression, la torture en 2008 (un certain
nombre d’entre eux étaient au pouvoir quand on massacrait les jeunes) et
prétendre qu’on est véritablement opposé à ce régime. On peut comprendre que
Kamto ait des différences avec le régime de Paul Biya et qu’il en soit sorti,
de même pour Marafa et tous les autres qui y ont été. Mais prétendre
qu’aujourd’hui notre pays doit encore être gouverné par ceux-là mêmes qui ont
consolidé un système aussi barbare que le système néocolonial, c’est cela qui
pose problème. C’est à nous d’éclairer les Camerounais. En dernière analyse,
les Camerounais choisiront. Veulent-ils qu’on fasse le remake Ahidjo – Biya ou
Biya – Kamto, ou Biya – Marafa, ou veulent-ils que le pays s’engage
véritablement dans une rupture avec le système néocolonial ? C’est le peuple
qui décidera.
Sont-ils
condamnés à jamais, même s’ils prennent leurs distances avec le pouvoir ?
C’est le peuple qui décidera.
Mais il est de notre responsabilité d’attirer l’attention des Camerounais pour
qu’on ne nous rejoue plus l’histoire Ahidjo – Biya. C’est à nous d’expliquer
aux Camerounais que si on veut vraiment avancer, il faut opérer une rupture
avec ce système et ne pas faire des aménagements liés à la mauvaise
gouvernance, uniquement parce que certains d’entre eux, y compris des
dirigeants de l’opposition depuis 1990, font partie de la même famille. Tous
pensent encore que c’est l’Occident qui place les gens au pouvoir, qui décide
du sort des hommes politiques. C’est pour ça que vous remarquez qu’ils sont
très souvent affiliés ou très présents dans les couloirs des représentations
diplomatiques.
Sans
le citer, vous parlez de Fru Ndi. Il a été certes au Rdpc, mais peut-on lui
contester aujourd’hui sa place de leader de l’opposition camerounaise ?
Nous ne contestons pas la
volonté de tel ou tel Camerounais de dire que maintenant nous voulons en finir
avec le régime de Biya. Mais nous sommes à mesure de nous interroger sur ces
parcours sinueux, bizarres, de ces opposants
et de ces questions récurrentes de l’unité de l’opposition. Un de vos confrères
disait justement que le problème de l’opposition c’est comme dans un troupeau.
Vous faites un troupeau de chèvres et de moutons. Les moutons ne marchent
jamais tout droit. Ils zigzaguent. Les chèvres marchent droit. Donc, quand vous
faites un troupeau de chèvres et de moutons, cela ne donne pas quelque chose
d’homogène. L’opposition aujourd’hui est composée de chèvres qui marchent droit
et des moutons qui zigzaguent.
Au
Sénégal, Macky Sall a bien cheminé avec Abdoulaye Wade, mais cela n’a pas
empêché qu’il s’oppose à son mentor et prenne sa place…
Il ne faut pas transposer ce
qui se fait au Sénégal au Cameroun. L’avantage que les pays d’Afrique de
l’Ouest ont sur le Cameroun c’est que les dictatures de parti unique là-bas
n’ont pas anéanti la société civile. Les syndicats et les associations ont
conservé toutes leurs forces. Par contre, la dictature d’Ahidjo et de Biya a
trop unifié ; syndicat unique, parti unique, etc. Ahidjo a même dissout les
associations comme le Ngondo. Donc, cela fait en sorte qu’on arrive à une
situation d’aération politique où les associations de relai des droits de
l’homme ont peu d’envergure. Les courroies
de transmission sont peu nombreuses. Il n’y a pas d’interlocuteur
associatif, syndical valable. Ça crée une société désordonnée, moins organisée
qu’un pays comme le Sénégal où nombre de mots d’ordre peuvent mieux s’insérer dans la société. Et
même que si on prend le cas de Macky Sall, regardons la suite des évènements
pour en juger. Parce que je vous rappelle quand même qu’en 1982 il y’avait
beaucoup d’espoir.
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