Par Ada Bessomo
Enfin pouvoir essayer de raisonner de nouveau, vu du Cameroun, à propos de la Côte d'Ivoire. Et juger à l'œuvre celui que le peuple aura dans sa majorité choisi. Sans complaisance aucune, car là est bien l'enjeu pour certains : que s'installe enfin, dans ces pays d'Afrique, la banale manie de respecter la loi de la majorité des votants. Eux seuls ont droit de se tromper sur un des leurs, et de se corriger le moment venu. L’affaire muée en tragédie ivoirienne ne tenait qu'à cela, au départ : Ouattara, agent double, triple, agent multiple de l'impérialisme occidental, cela importait très peu. Du moment que les électeurs, bulletin après bulletin, se massèrent derrière son nom plus nombreux que derrière celui de Gbagbo le nationaliste, le Che Bété, le Ghandi, le Mandela, le Samory Touré, le Douala Manga (pardonne-moi), le Mebenga M'Ebono (pardonne-moi), le tout résistant en somme, alors, il s'agissait juste de se résoudre à cette funeste issue. La loi de la majorité ! La volonté bien acceptée du peuple.
Pour beaucoup le VIH se transmet au Cameroun par voies mystiques également. Cette seule occurrence révèle des ramifications inattendues dans les psychologies et les jugements. Ce qui tombe sous le sens importe le moins : deux hommes, formatés par les mêmes moules (même si nul n’ignore que, pour cette génération-là, avoir été formé aux Etats-Unis pouvait apporter un sens de la liberté plus fort, moins d’allégeance aux modèles, réseaux toujours vivaces et actifs de l’ancienne colonie française !), se livrent une compétition acharnée, après en avoir accepté les règles. L’une des règles préalables et acceptées par tous, nœud de l'affaire, édicte ce principe : l'arbitre de la compétition électorale sera un tiers à l'ordonnancement juridique habituel du pays. L’arbitre de l’élection ne sera pas celui des élections déjà vécues dans le pays. C’est la situation de blocage du pays depuis dix ans qui commande cette option. L’élection à venir, sous cet angle-là, signifiait quelque chose de fondamental. Elle remettait les compteurs du passé récent à zéro. Chaque candidat s’engageait à oublier les raisons qui avaient conduit à cette impasse interne. Ceci, tous les candidats l'ont accepté. Voici qui tombe sous le sens.
Or, à Yaoundé, Douala, Bertoua, être un lettré semble devenir synonyme d’habileté à recycler les peurs irrationnelles des villages dans des acrobaties logiques où la raison perd toute légitimité. Vous en entendrez pour cela vous dire que, si le VIH ne se transmet jamais par voie mystique pour vous, celle-ci ne relevant pas de la raison, du vérifiable, alors c'est que vous seriez inféodé aux Blancs ! Vous seriez même un vendu, un traître à la cause dite africaine.
Le refus de la voie mystique traduit en crise ivoirienne : le conseil constitutionnel ivoirien n'était pas habilité, à la fois, à annuler des voix et à déclarer vainqueur Gbagbo, ainsi qu'il l'a fait. Empêcher devant caméras des personnes de donner des résultats, même avec retard, suffisait à s'inquiéter de l'aptitude de l'auteur ou de son camp, à composer avec quelque contrariété, de manière policée. Un accord était là bafoué.
Or, logique du VIH qui se transmet par voie mystique : des pourcentages sont brandis, des calculs avancés, et ce fourre-tout émotionnel, proto-rationnel : Gbagbo formé chez les socialistes français ? Du nationalisme ivoirien pur jus qu'il allait apprendre là-bas ! Gbagbo cornaqué par Guy Labertit, connu pour être la France socialiste en goguette en Afrique ? Du vent, c'est là marque même de résistance aux Blancs ! Gbagbo enrichi à la vitesse du son ? Pour nourrir la résistance aux Blancs ! Gbagbo divorcé d'une Blanche, père de deux enfants avec elle ? Et alors, Ouattara a toujours la sienne, qui sera première dame blanche, horreur ! horreur ! Gbagbo maître d’un armement sans commune mesure avec la courbe de pauvreté des Ivoiriens ces dix dernières années ? La cause, bouter l’impérialisme de la communauté internationale hors de ce pays, justifiait cela. Les charniers de Yopougon ? Mais qui les a jamais vus ? Les images de Duékoué, elles, crient la sauvagerie de Ouattara le Burkinabé !
De dérive en dérive, l'insulte s’étoile. La logique villageoise elle-même humiliée. Et cette parole qui seule a souvent scellé les amitiés, les réconciliations parmi les hommes ? Elle avait été donnée par tous, à la fois à l’un et l’autre concurrent, et à l’arbitre, que l’on installait par le même mouvement, dans toutes ses prérogatives. La première de toutes n’était-elle pas de respecter son statut ? D’où s’ébranle donc ce procès en trahison soudain grossissant ? D’un magnifique saut périlleux logique autour de ce statut, justement. L’arbitre, reconnu au premier tour par tous, est récusé au second, par l’un des finalistes, celui-là même qui arrivait en tête le tour précédent. Pourquoi ? Il ne serait pas impartial. Soit. Que faire face à l’arbitre, au juge soupçonné de partialité ? Certainement pas le déjuger soi-même, car alors à un vice supposé l’on substituerait au moins deux : être juge et partie est plus grave encore que manquer de transparence. C’est pourtant cela que le monde vit Gbagbo et Yao N'dré faire. Et le nationalisme, le panafricanisme, la lutte contre l’impérialisme devenaient du fait même les manifestations d’une défaite des cœurs.
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