Par Abanda Kpama (Président du Manidem)
Avec le projet de loi que le Gouvernement vient de déposer sur la table de la Représentation Nationale, on peut affirmer que le régime Rdpc a définitivement tourné le dos à une solution durable de la grave crise politique et morale dans laquelle notre pays se débat depuis au moins deux décennies.
Contraint d’une part par les luttes récurrentes des Kamerunais qui exigeaient le multipartisme et la démocratie, et d’autre part par le contexte international du vent de l’Est, M. Biya et ses amis du Rdpc ont accédé à la revendication de la libération du jeu politique au début des années 90, mais juste du bout des lèvres. La culture démocratique subséquente à une volonté politique affirmée de changement, est restée étrangère aux tenants du pouvoir. Les idéologues et pontes du Rdpc n’ont jamais abandonné la culture du monolithisme et du fait accompli. De telle sorte que les problèmes que connaît notre pays n’ont pas pu trouver de solutions durables. Que de fois patriotes et démocrates ont appelé à des assises nationales incluant toutes les forces vives de la nation : partis politiques, syndicats, congrégations religieuses, chefs traditionnels, Ong, etc., pour élaborer de manière consensuelle un pacte social, une constitution et un code électoral. Cette démarche aurait eu l’avantage de doter le pays d’institutions consensuelles, c'est-à-dire acceptées par toutes les catégories et classes sociales kamerunaises. Personne ne prétend que de telles institutions seraient parfaites mais elles auraient au moins l’avantage d’avoir été élaborées par tous et seraient donc un socle solide pour la stabilité de la nation.
Toujours dans la logique du monolithisme, le pouvoir Rdpc tient en horreur l’idée de l’alternance politique. A un point tel que 20 ans après les lois sur la liberté d’association, les Opposants politiques, les syndicats autonomes, les leaders d’opinion et les médias indépendants sont toujours considérés comme des rebelles ; exactement comme en 1962, sous Ahidjo et Fochive, avec la fameuse ordonnance sur la subversion. Plus de 20 ans après les lois sur la liberté d’association, il n’existe toujours pas un statut pour l’Opposition politique. L’Administration, entièrement aux ordres du Rdpc, et les forces de l’ordre, continuent de traiter d’honnêtes citoyens kamerunais comme des bêtes sauvages qu’il faut éliminer, au seul tort qu’ils n’appartiennent pas au parti au pouvoir. Dans cet univers de l’intolérance, imaginer que d’autres forces politiques ou sociales prennent le pouvoir relève du mythe. L’architecture politique et juridique des institutions du régime Rdpc est ainsi faite que l’alternance politique à la tête de l’Etat et au Parlement est impossible.
L’exemple d’Elecam est illustratif de la faillite morale du pouvoir Rdpc. Le Minatd ayant fait l’unanimité contre lui dans l’organisation des élections, M. Biya a fait une première concession au Peuple kamerunais qui réclamait un organe indépendant pour gérer le processus électoral. Cette concession, il l’a appelée Onel 1, un observatoire, rien de plus. Devant la pression des Kamerunais, il a sorti Onel 2, rien de mieux. C’est alors que le jeu complexe des aspirations légitimes des populations kamerunaises et des intérêts des partenaires occidentaux du Kamerun ont amené M. Biya à créer Elecam. On a cru à une avancée. On a même failli applaudir. Mais à peine votée, la loi sur Elecam a été violée par le même Gouvernement qui l’a conçue. Le Conseil Electoral a été composé à 100% par les pontes du Rdpc en violation flagrante de l’esprit et de lettre de la loi. Mais plus grave a été la modification de la loi sur Elecam avant même sa mise en route pour… réintroduire le tristement célèbre Minatd dans le processus électoral ! C’est ainsi qu’est né Elecam 2. La dernière actualité sur Elecam donne à comprendre que le régime de M. Biya a tiré les conséquences dans la crise postélectorale ivoirienne. Elecam ne pourra même plus proclamer les résultats provisoires des élections. Cette prérogative ainsi que la proclamation définitive sont dévolues au Conseil Constitutionnel c'est-à-dire, en fait, à la Cour Suprême. Quand on sait le type de rapports que M. Biya entretient avec la Cour Suprême, on peut deviner quel type de résultats cette dernière institution serait amenée à proclamer dans une élection où M. Biya serait candidat.
L’embrouillamini autour des différentes modifications de la loi sur Elecam est tel qu’en y regardant de près, on en arrive à se demander à quoi servira désormais le Conseil Electoral. Les élections étant organisées par la Direction Générale d’Elecam sous le contrôle très strict du Minatd, les résultats, même provisoires étant proclamés par la Cour Suprême, le Directeur Général d’Elecam n’étant pas soumis au Conseil Electoral, ce dernier est devenu un organe vide, sans objet ; alors, qu’il y ait 12, 18 ou 24 membres au Conseil Electoral, cela ne change rien. M. Biya, dans un de ses tours de passe-passe dont il a seul le secret, a réussi à verrouiller, à son profit et au profit de son parti, le système électoral. Avec Elecam 3, on est dans une reculade explicite. La faillite est consommée. Car, être amené à modifier à deux reprises une loi avant sa mise en application et alors qu’on a conçu et élaboré la loi sans concertation avec les autres forces sociales et politiques du pays, traduit la déroute politique et morale du régime Rdpc. Inutile d’évoquer amplement la méthode, outrageusement anti démocratique, qui consiste à déposer les projets de loi à la dernière minute, privant ainsi les députés de la possibilité d’un examen sérieux de ces projets.
Notre sentiment est qu’en refusant l’alternance et en verrouillant le jeu politique, sans que par ailleurs les problèmes économiques et sociaux des Kamerunais ne trouvent un début de solution, M. Biya entraîne inéluctablement le Kamerun vers une crise majeure avec risque d’implosion.
No comments:
Post a Comment
Sous la rubrique “Select Profile”, cliquez sur “Name/URL”. Insérer votre nom, puis tapez votre message. Cliquez ensuite sur “POST COMMENT” pour envoyer votre commentaire.