Mariane-Simon Ekane |
Membre du Comité National de coordination (CNC)
du Manidem
Le courant
ne charrie que les épaves ... Le 15 janvier 1971, Ahmadou Ahidjo assassine
cyniquement et sauvagement Ernest Ouandié dans sa ville natale de Bafoussam. Le
dernier leader nationaliste kamerunais reçoit des dizaines de balles dans le
corps et une dans la tête par les soldats de l'armée néo-coloniale. Le régime UNC
de l'époque avait fait fermer les établissements scolaires de la ville afin que
les jeunes Kamerunais viennent assister au spectacle de l'exécution de leur
frère. La terreur de l'Etat voulait ainsi dissuader tous ceux qui tenteraient
de suivre l'exemple d'Ernest Ouandié. Quelques mois auparavant, à la suite d'un
simulacre de procès, il avait été condamné à mort par le tribunal militaire de
Yaoundé. La même sanction fut infligée à Monseigneur Ndongmo (gracié par la
suite par Ahidjo) et au sécretaire particulier de Ouandié, Mathieu Djassep, dont
la peine fut commuée en prison à vie et qui passa 15 ans en prison. Mathieu
Djassep est toujours vivant aujourd’hui, et vit dans un dénuement total.
Ernest
Ouandié avait été arrêté auparavant en août 1970 avec quelques dizaines
d'autres nationalistes. A cette période-là, il n’y avait plus en réalité aucune
activité du maquis. C'est donc pour punir Ouandié et décourager les patriotes
de demain que le régime d'Ahidjo, sa bande et ses "maîtres" français
organisèrent cette épisode macabre de l'histoire de notre pays. Ils avaient
oubliés, et oublieront toujours ce bon mot du philosophe Dadié : "... on a beau supprimer le joueur de tam-tam, on
ne peut rien contre la mélodie que jouait le joueur de tam-tam." En
effet, la mélodie d'Ernest Ouandié, joueur émérite du tam-tam de la révolution
résonne et résonnera toujours plus fort dans la tête des Patriotes Kamerunais;
Une vie en enfer
La vie
d’Ernest Ouandié n'a pas été facile ; il avait choisi la lutte. Très tôt,
il a été un agitateur public déclaré, bravant toutes les interdictions. Au
Kamerun et à l'étranger, il voyageait sans arrêt pour rencontrer d'autres
camarades, d'autres patriotes. Sa famille, ses enfants, sa femme, c'était le Kamerun, l'avenir du Kamerun. Tous
ses choix, il les a totalement assumés, contre vents et marées. Il a toujours
été là, disponible. Après l'assassinat de Um Nyobè en 1958, et de Moumié en
1960, Ouandié rentre au Kamerun, au maquis, malgré la répression atroce
orchestrée par les troupes françaises aux côtés de l'armée néocoloniale kamerunaise.
" Une vie bien remplie est pleine de
douleurs ...Et on reconnaît les grands hommes dans leur capacité à souffrir..."
(Sénèque). Et Frantz Fanon dit : «Je ne
lutte pas aujourd’hui pour vivre heureux demain, je lutte aujourd’hui, et déjà
je vis mieux.» Les méthodes employées à l'époque sont les mêmes qu'utilise
le régime RDPC aujourd'hui : la politique de la terre brûlée, isoler les
patriotes du reste de la population pour mieux les stigmatiser et les
fragiliser.
Aujourd'hui
encore, la prime est aux lâches, aux résignés, aux "réalistes" comme
ils disent. A quoi sert-il de s'engager maintenant alors que la victoire n'est
pas certaine ? Vaut mieux un tient que deux auras ; le camp d'en face est trop fort ; c'est la
France qui décide de notre avenir. Ne vaut-il pas mieux un lâche vivant qu'un
héros mort ? Ces questions des opportunistes d'aujourd'hui étaient les mêmes du
temps de Ouandié. Malgré tout cela, Ouandié est allé au rendez-vous de
l'Histoire. Et aujourd'hui, la Kamerunaise lamda que je suis est en admiration
devant Monsieur Ernest Ouandié.
"...Je n'ai que du mépris pour Ndongmo,
je le ferais gracier. Je respecte Ouandié, donc je le tuerai ..."
aurait déclaré Ahidjo à ses proches. On imagine aisément ce que Biya pense de
tous les béni oui-oui qui gravitent autour du pouvoir ! Quelle pitié ! Ayons
pitié pour eux !!!
Voile sur Ernest
Lorsqu'on
parcoure la vie d'Ernest Ouandié, on peut dire sans se tromper que c'est le
dirigeant historique de L'UPC qui a le plus porté les difficultés de la
révolution Kamerunaise. La vie sous maquis d'Ernest Ouandié (son compagnon
Ndjassep Mathieu nous l'a racontée ) a
été un véritable enfer. Les jeunes générations devraient y trouver des sources
d'inspiration inépuisables : comment aimer son pays jusqu'à lui consacrer
sa vie jusqu'au martyr. Mais paradoxalement Ouandié est le dirigeant historique
le moins célébré. A la limite, dans sa région natale, les élites villageoises,
et tribalistes l'ont pratiquement banni. Il est vrai, cela rentrait dans les
objectifs de la terreur du régime d'Ahidjo. Mais ailleurs, Um Nyobè fait le
consensus, même auprès des élites villageoises corrompues du Rdpc. Félix Roland
Moumié fait amplement la fierté du peuple Bamoun. Il arrive même que des
rétrogrades, comme le sultan Bamoun, ou le féodal Ndam Njoya, leader de l'UDC, prétendent
être des héritiers de Félix Roland Moumié. Malgré quelques initiatives récentes
de patriotes de l'Ouest, Ernest Ouandié demeure un mal-aimé dans sa région
natale. Il est vrai que toute sa vie, Ouandié a été en rupture avec les
pratiques d'antan par exemple : épouser une femme hors de sa région. Le
Camarade Emile a choisi une femme Bakoko, Marthe Eding, et ça il fallait le
faire! C'est à peine si la jeune génération bamiléké sait qu’Ernest Ouandié
repose au cimetière Baleng à Bafoussam. Quelle désolation ! L'opportunisme
ambiant mais malsain, "l'air du temps" pousse tous les dirigeants
politiques et de la société civile à parler abondamment du retour indispensable
de la dépouille mortelle de Ahidjo. Mais alors, avant de parler du bourreau,
quoique premier président du Kamerun, n'est-il pas plus décent et juste de
parler d'abord de ses victimes ou des dépouilles de ses victimes ? Décidemment
l'opportunisme politique est une maladie congénitale des héritiers d'Aujoulat,
qu'ils soient au pouvoir ou à "l'opposition".
L'érection
de Ouandié au titre de Héros national (en 1992) est une plaisanterie de mauvais
goût . Elle intervient dans un contexte où le régime RDPC tente de se sortir de
l'étau de la contestation populaire. Le président de la République fait dans
l'amalgame grossier : la mixture Um Nyobè, Félix Roland Moumié, Ernest Ouandié
et ... Ahidjo est politiquement et historiquement indigeste. Et enfin, il n'y a
qu'au Kamerun du Renouveau et des grandes " ambitions " que les héros
ne sont pas célébrés par la nation, ne serait-ce que le jour anniversaire de
leur disparition. D'ailleurs comment le ferait-on alors que prononcer ces
noms-là, pour donnerait des cauchemars à ces gens-là ?
Ernest
Ouandié est inscrit en lettres d'or dans l'histoire de notre pays. Comme il l'a
si bien dit, " le sang des patriotes
est une semence de patriotisme. " Et comme toute semence, celle-ci a
besoin d'être entretenue par nous, patriotes kamerunais. C'est difficile, ce
sera toujours difficile, car en face la réaction est forte, répressive,
vicieuse, insidieuse. Elle épouse souvent des formes insoupçonnables. Mais tout
cela fait partie de la lutte engagée depuis par Ernest Ouandié, Ruben Um Nyobè,
Felix Moumié et les autres. Ils ont refusé d'être les épaves que draine le
courant de la compromission et de l'opportunisme. " Le plus lourd fardeau c'est d'exister sans
vivre." (Victor Hugo) et, ces épaves-là ne vivent pas. Or, on sait que
ce sont les meilleurs poissons qui nagent à contre-courant et tous les pêcheurs
vous le diront. Que mon cœur cesse de battre s'il ne bat pas pour le Kamerun.
intéressant
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