May 3, 2011

Kamerun : l’Etat fascisant

Par Ghonda Nounga

La répression exagérément brutale des émeutes de février 2008, qui indiquaient clairement le rejet du régime de M. Biya par les populations kamerunaises, a montré au grand jour la nature essentiellement violente d’un Etat qui, depuis la fin des années de braises (1990-1994), affichait un visage faussement débonnaire. Nous en étions, jusqu’en ce fameux mois de février 2008, à une dictature “molle” (ou “conviviale”, selon le mot d’Anicet Ekane). Et nous en sommes à nouveau, comme aux temps d’Ahidjo, à des formes plus rigoureuses de violence physique, et de harcèlement idéologique et psychologique. De simples festivals de films sur les droits de l’homme, ou sur l’exploitation de la banane au Kamerun, sont interdits manu militari comme aux temps des lois sur la subversion.

Questions fondamentales : ce changement d’humeur de l’Etat kamerunais est-il un accident de l’histoire ? Un simple incident ? Ou alors, la violence (y compris sous sa forme idéologique qu’est le tribalisme) n’est-elle pas inscrite dans les gènes mêmes de cet Etat ?

Questions subsidiaires : au vu des réflexes quasi-pavloviens des autorités administratives chaque fois que des Kamerunais projettent de se réunir pour discuter de la vie - même simplement culturelle - de leur pays, que faut-il penser du discours qui attribue l’avènement du multipartisme et de la “démocratie” à la magnanimité de M. Paul Biya et ses affidés ? Et par quel phénoménal miracle un pouvoir conçu pour opprimer les Kamerunais se serait-il mué en accoucheuse et protectrice de cette forme achevée du vivre-ensemble qu’est la démocratie ?

Qu’est-ce que l’Etat en général ?

De manière générale, il faut comprendre l’Etat comme un appareil de coercition entre les mains d’une classe sociale, d’une fraction de classe, ou d’une alliance de classes, pour maintenir son (ou leur) domination et son (ou leur) hégémonie sur le reste des hommes de la société. Contrairement donc à ce que dit mon ami Hubert Mono Ndjana, l’Etat, ce n’est pas moi, ce n’est pas Monsieur tout le monde. Et pour ne pas faire inutilement dans la théorie, tournons-nous vers des faits concrets : quand, vers la fin des années de braises et de villes mortes (1996), Paul Biya décrète qu’il faut renforcer “l’autorité de l’Etat”, que voyons-nous ? Une augmentation du nombre d’écoles et de dispensaires dans les villages ? Un accroissement du nombre de puits d’eau dans l’Extrême Nord en voie de désertification ? Que non ! Nous voyons la police se doter de nouveaux véhicules et de nouvelles armes achetées, entre autres, auprès de la Chine “communiste”, pour davantage et mieux nous opprimer.

Il ne faut donc pas confondre l’administration, qui gère les biens (écoles, dispensaires, routes, etc.), avec l’Etat, donc le seul rôle est le “contrôle” des hommes. Expliquons-nous davantage par un ou deux exemples : le Canon de Yaoundé dispose d’une administration pour la gestion des primes de matchs, de ses ballons, de ses locaux, de ses survêtements et bien d’autres choses. Il ne peut punir un joueur qu’en l’excluant de l’équipe (ce qui ne le tuera certainement pas). Autre exemple plus illustratif : l’église catholique qui est au Kamerun dispose d’une administration titanesque qui gère des écoles, des hôpitaux, des entreprises, des paroisses, etc. Mais elle ne dispose pas de prisons, par exemple, et ne peut recourir, pour punir les pécheurs, qu’aux sermons et aux excommunications - qui n’ont jamais tué personne. Pour réprimer les cas de vol dans ses entreprises, elle est obligée de recourir au bras séculier de l’Etat laïque, ce qui prouve, encore mieux qu’une élaboration théorique, qu’elle ne dispose pas elle-même d’un appareil d’Etat.

Mais, bien que la distinction entre l’Etat et l’administration soit claire au niveau théorique, la confusion, au niveau des faits, tient de ce que, dans tous les pays du monde, l’Etat s’assujettit l’administration des biens pour contrôler davantage les citoyens au bénéfice des classes dominantes, assurant ainsi une répartition inégalitaire de la richesse produite par la communauté nationale.

La nature de l’Etat néocolonial au Kamerun

Pour que la démocratie formelle (c’est-à-dire à dire de type bourgeois, par opposition à la démocratie socialiste) soit possible et pérenne dans quelque pays que ce soit, il faut qu’au moins les trois conditions suivantes soient réunies :

1. il faut qu’existe une bourgeoisie hégémonique au plan économique sur le territoire national ;
2. il faut que cette bourgeoisie soit également hégémonique au plan politique ;
3. et enfin, il faut qu’elle soit hégémonique aux plans intellectuel et idéologique.

Quand ces trois conditions sont réunies, la bourgeoisie peut faire le « nyanga » et se permettre d’organiser des élections libres, convaincue que le changement de personnel politique résultant des élections n’entamera en rien son hégémonie globale. Aux Etats-Unis par exemple, nous sommes dans une situation de parti unique de fait, où les démocrates et les républicains ne sont que les deux faces d’une même médaille, et servent avec un égal bonheur les intérêts des multinationales états-uniennes. La démocratie bourgeoise peut y fonctionner plus ou moins sans accrocs, et l’avènement à la présidence du Nègre Barack Obama n’était un évènement exceptionnel qu’en apparence, comme les Africains naïfs commencent à s’en apercevoir.

En général, dans les systèmes bourgeois du centre (par opposition à la périphérie), dès que l’une ou l’autre des conditions ci-dessus cesse d’être remplie, la tendance de la bourgeoisie est à la fascisation et à la suppression brutale des forces sociales susceptibles de remettre en cause son hégémonie. En témoignent, en Allemagne au début des années 1920, la terrible répression des Spartakistes (dont les chefs étaient Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht) et l’irrésistible ascension du nazisme vers le pouvoir.

Or donc, quel est le statut des classes dominantes au Kamerun, au regard de ces trois critères ?

A. Les classes dominantes kamerunaises n’ont pas l’hégémonie de l’économie nationale.Le rôle presque exclusif de la frange bureaucratique de cette bourgeoisie (celle des Paul Biya), est de protéger les investissements étrangers (français essentiellement) et de veiller à l’exploitation la plus profitable possible des masses laborieuses au Kamerun. En un mot, la bourgeoisie bureaucratique, qui sert l’Etat, est le garde-chiourme des coffres forts de la France et des autres pays impérialistes dans notre pays. Mon lecteur pense-t-il que j’exagère ? Qu’il s’en réfère à l’aplatissement éhonté de la branche judiciaire de l’Etat kamerunais devant les intérêts des multinationales de la banane dans le cadre des affaires Paul-Eric Kingué et Lapiro de Mbanga ! Qu’il essaie de s’expliquer pourquoi un sous-préfet du lointain Yaoundé, sous prétexte d’absence d’autorisation, interdirait la projection du film La banane de Frank Bieleu, qui montre l’incroyable degré de surexploitation des travailleurs à Njombe-Penja, et dont se saisirait comme prétexte la moindre autorité patriotique pour intenter un procès en bonne et due forme aux négriers de la banane.

Quant à la bourgeoisisme d’affaires - celle des Fotso Victor (essentiellement compradore - parce qu’elle “va buy à Mbeng pour venir tum au Kamer” – comme disent les jeunes du Manidem), elle est totalement assujettie à la bourgeoisie bureaucratique des Paul Biya dont elle n’échappe pas aux foudres en matière de procédures et d’imposition. Elle ne peut donc en aucune façon se comporter de telle manière que l’hégémonie de l’économie nationale revienne à des forces nationales, y compris elle-même.

B. Les classes dominantes sont hégémoniques au plan politique, mais uniquement parce qu’elles usent d’artifices inavouables pour se maintenir dans leur position dominante. C’est ainsi que la moindre réunion ou manifestation de l’opposition est interdite sous prétexte de trouble possible à l’ordre public. Mêmes les militants du RDPC, le parti censé être au pouvoir, sont tenus au strict respect du statu quo, sauf quand ils ont annoncé urbi et orbi qu’ils vont chanter les louanges de M. Biya. Charles Ateba Eyéné, militant anticonformiste de ce parti, ne s’est-il pas vu interdire, à Kribi, la cérémonie de dédicace de l’un de ses livres qui contenait une petite dose de poil à gratter ? L’hégémonie des classes dirigeantes au Kamerun se fonde également sur des fraudes électorales massives et sur l’achat des consciences. Tout ceci se traduit par une immobilisation presque totale de la vie politique et de la circulation des idées dans le pays. En un mot comme en mille, le Kamerun est, à l’heure actuelle, un pays bloqué, comme le montre Abanda Kpama dans un article à paraitre dans le prochain numéro de la revue Alternative révolutionnaire. Et le "Renouveau" de M. Biya s’avère en définitive être le stade ultime du néocolonialisme au Kamerun. Apres lui, ce sera la liberté ou le chaos !

C. Quant à l’éventuelle hégémonie intellectuelle et idéologique de classes dominantes sous le Renouveau, disons tout simplement qu’après l’épuisement de la négritude (qui a longtemps servi de cache-sexe, sous diverses formes, à des élucubrations de la petite-bourgeoise intellectuelle pour le compte de la grande bourgeoisie), les classes dirigeantes en sont réduites à utiliser des artifices tels que le culte de Paul Biya et la dissémination farouche du tribalisme par le truchement des élites de tel ou tel recoin de notre pays.

Il faut donc le dire sans ambages : le pouvoir bourgeois kamerunais est "fascisant" dès sa naissance, et donc par essence ! Et toute énonciation démocratique provenant d’elle n’est que leurre et démagogie. La tâche des patriotes kamerunais n’est pas d’essayer d’amender ce système caduc et moribond (comme se l’imaginent certains politiciens réformistes bien en vue), mais de le briser, pour instaurer un régime nouveau pour un Kamerun nouveau.

Guillaume-Henri Ngnépi montre plus en détail l’essence fascisante de l’Etat au Kamerun, dans un article à paraitre également dans le prochain numéro de la revue Alternative révolutionnaire.

1 comment:

  1. The definition of the "State" looks akward to me, but the article is sound and should be widely circulated. Indeed, Paul Biya's is not only a dictatorship, but genuinely a fascist regime (or "fascisant", whaterver this means concretely)

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