Kim Jung Un |
25 avril 2013
Les relations entre les États-Unis et la Corée du Nord ont atteint leur nadir et, dans la plupart des commentaires des médias occidentaux, c’est la rhétorique en apparence déraisonnablement musclée de la Corée du Nord, qu’il convient de blâmer. De façon inexplicable, nous raconte-t-on, la Corée du Nord a choisi d’accroître les tensions. Ce qui manque, dans ce tableau d’une attitude nord-coréenne hostile et du rôle de victime innocente assumé par les États-Unis, c’est le contexte. Et, comme cela arrive souvent, les médias présentent les événements de façon isolée, comme s’ils apparaissaient brusquement, sans la moindre raison.
Pas besoin de remonter très loin dans le temps pour discerner ce qui énerve les Nord-Coréens. Ces derniers mois, le gouvernement d'Obama a entrepris plusieurs démarches que la RPDC (République populaire démocratique de Corée, appellation officielle de la Corée du Nord) a perçues comme autant de menaces.
Le premier pas sur la voie de la détérioration des relations a été franchi en octobre 2012, quand les États-Unis ont accordé à la Corée du Sud une exemption vis-à-vis du régime de contrôle de la technologie des missiles, lui permettant d’allonger la portée de ses missiles balistiques de façon à pouvoir couvrir la totalité du territoire de la RPDC.i Il en résultait qu’un ensemble de modalités s’appliquait à toute nation ayant ratifié le traité, sauf la Corée du Sud, à laquelle s’appliquait un ensemble différent de modalités, dans le but manifeste de cibler sa voisine du Nord.
Ce même mois, les responsables militaires des États-Unis et de la Corée du Sud se rencontraient lors de la Réunion consultative sur la sécurité, où ils convenaient de changements radicaux dans leur alliance. Fait plus important encore, ils développaient un plan qu’ils qualifiaient de « dissuasion adaptée », lequel implique des opérations militaires conjointes sud-coréennes et américaines en fonction d’un certain nombre de scénarios, y compris des incidents mineurs. À toute « provocation » de la part de la Corée du Nord, il convient de répondre avec une force disproportionnée et, selon un responsable militaire sud-coréen, « la stratégie sera appliquée aussi bien en temps de paix qu’en temps de guerre ».ii
Une composante essentielle de la dissuasion adaptée consiste en une « chaîne d’abattage » censée repérer et frapper les sites balistiques nord-coréens, un processus au cours duquel les satellites et drones américains détecteront des cibles, après quoi les missiles et avions de combat sud-coréens les élimineront. Le plan prône une attaque préventive s’appuyant sur la perception d’un lancement imminent de missiles nord-coréens. Le commandant en second du Commandement des Nations unies pour la Corée, le général de corps d’armée Jan-Marc Jouas explique que les missiles nord-coréens pourraient être ciblés rapidement « avant même d’être en position de tir ».iii Pour exprimer la chose plus simplement, on pourrait lancer une attaque contre des sites supposés de missiles, même lorsque les missiles nord-coréens ne sont pas en position de tir.
Le 12 décembre 2012, la RPDC mettait un satellite d’observation de la terre sur orbite, déclenchant aussitôt une condamnation de la part du gouvernement d'Obama, qui accusait le vol d’être un test déguisé de missile balistique. Les résolutions de l’ONU ont interdit à la Corée du Nord de tester des missiles balistiques, mais Pyongyang a répliqué qu’envoyer un satellite dans l’espace n’était pas la même chose que tester un missile balistique. Les experts en technologie des missiles ont tendance à être d’accord, faisant remarquer que les performances du missile lancé par la RPDC étaient insuffisantes pour un missile balistique intercontinental (MBIC) et que sa trajectoire comportait un virage serré afin d’éviter soigneusement de survoler Taiwan et les Philippines, une action qui est contre-productive pour un test de missile balistique. iv
Les vaisseaux de guerre sud-coréens sont parvenus à récupérer des débris du missile nord-coréen. Un examen a révélé qu’un petit moteur de poussée faible, 13 ou 14 tonnes, avait propulsé le deuxième étage. L’ingénieur aérospatial Marcus Schiller, qui travaille à Munich, a fait savoir qu’un deuxième étage à faible poussée et à combustion longue était précisément le modèle qu’il fallait pour un lanceur de satellite. C’est le type de modèle nécessaire si on veut atteindre une altitude suffisamment élevée pour pouvoir placer un satellite sur orbite. Toutefois, ce modèle est inapproprié pour un test de missile balistique, puisqu’il lui rognerait plus de 1000 kilomètres de portée. Pour tester un missile balistique, le deuxième étage devrait présenter un design contraire, avec une forte poussée et un temps de combustion court. Schiller conclut que les rapports des médias occidentaux disant que le lancement de satellite de la Corée du Nord a servi à un test de missile balistique « sont erronés ».v
Michael Elleman, analyste de la sécurité à l’Institut international des études stratégiques, fait remarquer que les retombées d’un lancement de satellite « sont d’une application limitée aux missiles balistiques », puisque seule une petite partie des problèmes peut être testée ». « D’autres impératifs, dont les plus notoires sont les technologies de rentrée et les impératifs de flexibilité opérationnelle, ne peuvent être correctement traités via les lancements de satellite. » Elleman rapporte que pour ces raisons et d’autres encore, les lancements de missiles par satellite de la Corée du Nord « ne sont pas un substitut au test de missiles balistiques ».vi
Détail intéressant : le jour même où la Corée du Nord larguait son satellite dans l’espace, une autre puissance nucléaire, l’Inde, effectuait elle-même un test en lançant un missile balistique, sans toutefois que les officiels américains n’émettent la moindre plainte.vii Les États-Unis ne manquent pas d’ingénieurs aérospatiaux et les officiels américains étaient certainement conscients que le lancement du satellite nord-coréen n’avait pu être conçu, technologiquement parlant, comme un test de missile balistique camouflé. Il apparaît que le gouvernement d'Obama a choisi délibérément de falsifier la nature du lancement afin de poursuivre ses propres visées politiques.
Le lancement du satellite a fourni au gouvernement d'Obama une occasion de resserrer le nœud coulant autour de la Corée du Nord et, après des négociations très longues, il s’est arrangé pour faire passer une résolution au Conseil de sécurité des Nations unies. Comme l’a expliqué le porte-parole du ministère américain des Affaires étrangères, Victoria Nuland, l’intention du gouvernement d'Obama était de « continuer à accroître la pression sur le régime nord-coréen. Et nous cherchons la meilleure façon de pouvoir aller de l’avant, sur ce plan, à la fois bilatéralement et avec nos partenaires. Tant qu’il n’aura pas compris ce message, nous devrons continuer à isoler davantage encore ce régime. »viii
Avec l’adoption de la Résolution 2087 du Conseil de sécurité de l’ONU, le 22 janvier 2013, de nouvelles sanctions ont été imposées à la Corée du Nord, malgré le fait que le traité international sur l’espace extérieur accorde le droit d’explorer l’espace à « tous les États sans discrimination d’aucune sorte ».ix
La Corée du Nord a réagi avec colère pour avoir été isolée en tant que seule nation sur Terre à se voir refuser le lancement d’un satellite. La RPDC était peu disposée à accepter qu’on lui impose des sanctions supplémentaires, alors que son économie était déjà accablée par les sanctions existantes. Un porte-parole du ministère nord-coréen des Affaires étrangères a fait remarquer qu’en faisant passer de force la résolution au Conseil de sécurité, les États-Unis avaient violé la charte de l’ONU qui stipule : « L’organisation s’appuie sur le principe de l’égalité souveraine de tous ses membres. »
Prenant la parole aux Nations unies, le délégué de la RPDC, So Se Pyong, a déclaré : « Il n’y a pas eu moins de 2.000 tests nucléaires et 9.000 lancements de satellites dans le monde depuis que l’ONU existe, mais il n’y a jamais eu une seule résolution de son Conseil de sécurité qui ait interdit les tests nucléaires et les lancements de satellites. » Ajoutant que les États-Unis ont effectué plus de tests nucléaires et de lancements de satellites que toute autre nation, le délégué a déclaré que les États-Unis ne devraient pas avoir la possibilité d’empêcher la Corée du Nord d’exercer son droit « d’utilisation de l’espace à des fins pacifiques », ou d’utiliser les Nations unies « comme un outil pour exécuter sa politique hostile à l’égard de la RPDC ».x
Personne n’a été surpris que la Corée du Nord ait choisi d’exprimer sa résistance à l’agressivité de la politique américaine en effectuant son troisième test nucléaire le 12 février 2013. Plusieurs jours plus tard, faisant apparemment référence à l’Irak et à la Libye, les médias nord-coréens ont rappelé le sort qui avait frappé les nations mêmes qui, en réponse aux pressions américaines, avaient abandonné leurs programmes d’armement nucléaire. Ces exemples, ajoutaient-ils, « enseignent cette vérité : il convient de s’opposer au chantage nucléaire américain par des contre-mesures substantielles, sans compromis ni marche arrière ».xi
Le lendemain du test nucléaire, le ministère sud-coréen de la Défense nationale annonçait qu’il avait déployé des missiles de croisière capables de frapper n’importe quel endroit en Corée du Nord et qu’il allait accélérer le développement des missiles balistiques de portée similaire. En outre, la mise en place de la « chaîne d’abattage » devait être accélérée.xii Alors qu’à l’origine, il était prévu qu’elle serait opérationnelle en 2015, elle est aujourd’hui en passe de le devenir à la fin de cette année.xiii
Alors que les discussions sur l’application de sanctions supplémentaires à la Corée du Nord allaient bon train au Conseil de sécurité des Nations unies, l’Union européenne allait de l’avant avec son propre train de mesures, y compris une interdiction de commerce avec les entités publiques nord-coréennes et de transactions autour des titres publics de la RPDC. Elle décrétait en même temps une interdiction pour les banques européennes d’ouvrir des agences en Corée du Nord et aux banques nord-coréennes d’installer des succursales sur le territoire de l’UE.xiv
Il a fallu plus de trois semaines pour négocier une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU en réponse au test nucléaire nord-coréen. La question la plus âprement discutée fut de savoir si, oui ou non, il fallait y inclure le Chapitre 7, Article 42, qui aurait autorisé une application des mesures par des moyens militaires. Les États-Unis et la Corée du Sud soutinrent dur comme fer son inclusion. Une autre question difficile concerna l’inspection des navires marchands nord-coréens et la discussion fut très longue avant que les États-Unis et la Chine se mettent d’accord sur l’étendue des inspections.xv
Les Chinois refusèrent l’application via des moyens militaires, craignant à juste titre que cela n’accrût le risque de guerre. Ils n’acceptèrent pas non plus les mesures plus sévères que les États-Unis avaient reprises sur une liste de desiderata ajoutée à leur projet.xvi Le contrôle militaire aurait été particulièrement dangereux, surtout lorsqu'on regarde dans l'Histoire, comment l'Article 42 a été utilisé par les États-Unis pour entrer en guerre.
Bien que les États-Unis n’aient pas obtenu tout ce qu’ils souhaitaient, l’adoption de la Résolution 2094 du Conseil de sécurité de l’ONU, le 7 mars 2013, leur permettait quand même de rencontrer bien des objectifs souhaités. La résolution demande à toutes les nations d’inspecter les navires et avions nord-coréens soupçonnés de transporter des marchandises prohibées. De fortes restrictions sont imposées aux opérations bancaires nord-coréennes. Les nations ont l’ordre d’empêcher des individus nord-coréens de transférer de grosses sommes d’argent, et cela vaut pour le personnel diplomatique, qui doit être soumis à une « vigilance accrue », bien que la chose constitue une violation de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques.xvii En soumettant les diplomates nord-coréens à une surveillance, à des fouilles et à la détention, les États-Unis entendent supprimer l’un des rares moyens qui restent à la RPDC de s’engager dans des transactions monétaires internationales. Les sanctions bancaires de l’ONU et des États-Unis ont fait que la plupart des banques internationales refusent désormais de mener des transactions avec la Corée du Nord, ce qui force la RPDC de régler une grande partie de son commerce extérieur sur base de paiements liquides.
C’est la mesure restreignant les affaires avec les banques nord-coréennes qui va infliger le plus de dégâts à l’économie nord-coréenne. « S’en prendre au système bancaire par de grands coups de brosse est sans doute la mesure la plus forte de la liste », fait observer l’ancien haut fonctionnaire du ministère américain des Affaires étrangères, Evans J. R. Revere. « Cela commence par rogner la capacité de la Corée du Nord à financer beaucoup de choses. »xviii En premier lieu, le commerce normal, faut-il remarquer.
Quelques jours plus tard, le département américain du Trésor suivait avec ses propres sanctions, interdisant les transactions à l'étranger entre la Foreign Trade Bank (Banque de commerce à l’étranger de la Corée du Nord) d'une part et des individus et entreprises des États-Unis d'autre part. Il imposait en outre un gel des avoirs placés sous la juridiction américaine. La Foreign Trade Bank, fait remarquer le département du Trésor, « est la première banque d’échange à l’étranger de la Corée du Nord »xix L’interdiction empêche efficacement les banques et les sociétés d’autres nations de commercer avec la Foreign Trade Bank, sous peine d’être exclues de tout contact avec le système financier américain. « Quand il y a une banque étrangère avec laquelle les banques américaines ne font pas d’affaires, les banques des autres pays se mettent à éviter les transactions avec elle », fait remarquer un spécialiste financier. « Elles sont ennuyées d’avoir à en subir elles-mêmes les conséquences. » Une caractéristique du commerce international, c’est qu’il repose sur le dollar, ce qui requiert que les transactions s’opèrent par le biais du système financier américain. Pour cette raison, « les banques chinoises ne seront pas en mesure d’aider la Corée du Nord à en sortir », ajoute l’analyste financier.xx
De son côté, la Corée du Sud a adopté des mesures qui accroissent le danger de guerre. Selon un fonctionnaire militaire de la Corée du Sud, « les commandants ont reçu le pouvoir d’agir d’abord discrètement, en cas d’une provocation nord-coréenne, et d’infliger des représailles plus de dix fois plus sévères que le niveau même de la provocation ».xxi Le directeur des opérations des chefs d’état-major associés, Kim Yong-hyon, déclare qu’en réponse à l’incident, les forces armées sud-coréennes « puniront résolument non seulement l’origine de la provocation, mais aussi les forces qui l’ont commandée ».xxii Nul besoin de beaucoup d’imagination pour reconnaître comment une telle politique a le potentiel de transformer une escarmouche bénigne en une guerre.
Les États-Unis et la Corée du Sud ont récemment signé un plan destiné à contrer les provocations et dans lequel les forces américaines sont tenues de fournir leur soutien quand les forces sud-coréennes s’en prennent à une cible nord-coréenne. Le plan énumère des actions à entreprendre en réponse à divers scénarios. Selon un fonctionnaire militaire sud-coréen, le plan tient compte de la politique sud-coréenne « requérant d’émettre des ripostes non seulement contre l’origine de la provocation, mais aussi contre les forces qui la soutiennent et leurs commandants ». Dans certains scénarios, « les armes américaines pourraient être mobilisées pour riposter dans les eaux territoriales ou sur le territoire même de la Corée du Nord ».xxiii Le plan destiné à contrer les provocations requiert que la Corée du Sud consulte les États-Unis avant d’entreprendre quelque action, mais, si Séoul requiert une assistance, les États-Unis ne peuvent pas refuser de participer aux opérations militaires.xxiv
Dans une puissante démonstration destinée à intimider la Corée du Nord, les États-Unis et la Corée du Sud ont démarré leurs exercices militaires annuels Key Resolve le 11 mars, chevauchant les exercices militaires Foal Eagle, longs de deux mois et qui avaient débuté le 1er mars. Pendant ces exercices, des bombardiers B-52 à capacité nucléaire décollaient de Guam et larguaient des munitions d’entraînement sur la Corée du Sud.xxv Les responsables militaires américains savaient que cette action allait enflammer les sensibilités nord-coréennes, étant donné les souvenirs cuisants que les Nord-Coréens ont de la guerre de Corée, lorsque les bombardiers américains appliquèrent une politique de la terre brûlée et rasèrent complètement chacune des villes et grosses bourgades nord-coréennes.
Les États-Unis resserrèrent encore la pression sur la RPDC en envoyant le sous-marin nucléaire USS Cheyenne, équipé de missiles Tomahawk, participer à Foal Eagle.xxvi Peu après, des bombardiers B-2 Stealth (« furtifs ») survolèrent la Corée du Sud lors des exercices militaires. « Du fait que le B-2 a une fonction de furtivité lui permettant d’échapper aux radars, il peut franchir les défenses antiaériennes pour larguer des armes conventionnelles ou nucléaires », commentait un fonctionnaire militaire. « C’est l’arme stratégique que la Corée du Nord craint le plus. »xxvii Le B-2, convient-il de remarquer, est le seul avion capable de larguer la bombe pénétrante « Massive Ordnance Penetrator », de 30.000 livres (13.600 kg), qui peut percer 200 pieds (60 m) de béton avant d’exploser. L’appareil peut également emporter diverses armes nucléaires. Poursuivant l’escalade dans leur démonstration de force, les États-Unis envoyèrent ensuite des chasseurs F-22 Stealth en Corée du Sud.xxviii Le gouvernement sud-coréen demanda aux États-Unis de ne pas montrer ces avions en public, parce qu’il s’agirait d’une provocation non nécessaire à l’adresse de la Corée du Nord. Les États-Unis ne tinrent aucunement compte de cette requête.xxix
Dans un coup de pouce à l’arsenal sud-coréen, les États-Unis ont approuvé la vente de 200 bombes perforatrices de bunkers, très pratiques pour viser les installations souterraines de la Corée du Nord. Les plans requièrent que les bombes soient déployées pour la fin de l’année.xxx La Corée du Sud a également l’intention d’acheter en Europe 200 missiles de croisière Taurus lancés par avion et qui sont capables de pénétrer des épaisseurs de béton armé de six mètres.xxxi
Dans son planning concernant les éventualités futures, les États-Unis ont constitué une organisation militaire chargée d’entrer en Corée du Nord et de s’emparer des installations et armes nucléaires au cas où une crise éclaterait en RPDC. Selon ce scénario, les forces américaines arrêteraient également les « personnages clés » et rassembleraient des informations classées. Mais il n’est pas révélé quels individus nord-coréens feraient l’objet d’une arrestation par les forces américaines. La force serait composée de militaires des forces armées américaines, d’agents de renseignement et de personnel antiterrorisme. Un exercice de simulation de ce plan faisait partie des exercices Key Resolve qui se sont terminés dernièrement.xxxii
Après avoir fait tout ce qu’il fallait pour provoquer les Nord-Coréens, le gouvernement d'Obama a profité de l’occasion pour montrer du doigt leur réaction et justifier ainsi une liste souhaitée d’engins antimissiles. Le Pentagone a annoncé qu’il allait stationner 14 intercepteurs de missiles supplémentaires à Fort Greely, en Alaska, et qu’il allait appliquer son plan consistant à installer un second radar antimissile au Japon.xxxiii Il a également annoncé le déploiement pour la première fois d’une batterie de Terminal High-Altitude Area Defense (THAAD – Dispositif antimissile) Guamxxxiv et la plate-forme de radars SBX-1 X-Band installée en mer va être rapprochée de l’ouest du Pacifique, au cours de ce que la Navy annonce comme premier déploiement naval de toute une série.xxxv
Le Wall Street Journal rapporte que l’étalage de la force militaire était prévu depuis longtemps dans ce que le gouvernement d'Obama avait appelé le « playbook », le scénario. Les États-Unis ont agi dans l’intention délibérée de menacer la Corée du Nord. D’après l’article, le gouvernement n’a décidé de placer le « playbook » sur « pause » que lorsque les médias ont révélé le déploiement de deux destroyers de missiles guidés vers l’ouest du Pacifique et qu’on a senti que cette information risquait peut-être d’inciter les Nord-Coréens à aller trop loin. Le déploiement de destroyers, a-t-on dit, n’était pas censé être publié. Les prochaines étapes du « playbook » ont été mises en veilleuse depuis.xxxvi On a également dit que les États-Unis allaient reporter un vol d’essai de Minuteman ICBM d’un mois, afin de ne pas accroître les tensions.
La perception que le gouvernement d'Obama souhaite inculquer au public américain et mondial, dans ce cas, c’est que les États-Unis agissent de façon responsable afin de désamorcer la situation. Toutefois, un haut fonctionnaire de la défense déclare : « Il n’y a pas eu d’ordre de secret, à la Maison-Blanche » en ce qui concerne le déploiement des destroyers. En outre, le matériel militaire récemment déployé ne sera pas retiré, alors que les exercices militaires combinés et à grande échelle Foal Eagle auxquels participent les Américains et les Sud-Coréens sur le pas de la porte de la Corée du Nord, se poursuivent sans relâche.xxxvii
Bien qu’elle prétende modérer ses actions, le gouvernement d'Obama fait exactement le contraire. Les responsables américains disent qu’ils n’ont pas l’intention d’entrer à nouveau en conflit avec la RPDC.xxxviii La « dissuasion adaptée » et la « chaîne d’abattage » font partie d’un planning accéléré, ce qui place la péninsule coréenne au bord même de la guerre. Pendant ce temps, les États-Unis mettent tout en œuvre pour persuader d’autres nations de prendre des actions à l’égard de la Foreign Trade Bank nord-coréenne et ils envisagent d’autres façons encore de provoquer l’effondrement économique de la RPDC. Un haut fonctionnaire – resté anonyme – du ministère américain des Affaires étrangères a fait remarquer qu’il y a toujours moyen d’élargir les sanctions. « Je ne sais pas ce qui marchera, mais nous n’avons pas encore fait le maximum ; il y a encore beaucoup d’espace et nous devons voir ce qu’on peut essayer. »xxxix
Les responsables américains ont demandé à l’Union européenne de prendre des sanctions contre la Foreign Trade Bank, et on s’attend à de nouvelles discussions dans cette direction. xl Le Japon et l’Australie ont déjà accepté de rejoindre les États-Unis en sanctionnant la banque et, au département du trésor, un haut fonctionnaire, David Cohen, et le secrétaire du département, Jack Lew, ont demandé à la Chine de faire de même.xli Le président Obama a téléphoné personnellement au président chinois Xi Jinping pour l’inviter instamment à sanctionner la Foreign Trade Bank. De plus, les responsables américains continuent à exercer des pressions sur la Chine, en insistant sur le fait que, si la Chine ne « réprime pas sévèrement » la Corée du Nord, les États-Unis vont accroître leurs forces militaires en Asie.xlii
Les Chinois se rendent certainement compte que cette mesure viserait aussi bien la Chine que la Corée du Nord. Le choix proposé par le gouvernement d'Obama, c’est que les Chinois peuvent soit voir les États-Unis accroître leur militarisation de la région et resserrer l’encerclement de la Chine, soit céder aux pressions américaines et coopérer en amenant la ruine économique de la Corée du Nord. Il est probable qu’en penchant pour la seconde option, les Chinois découvriront que les États-Unis n’ont aucune intention de ralentir leur poussée en Asie et que leur présence militaire dans la région s’accroîtra invariablement.
Que la Chine abonde ou pas dans le sens des exigences américaines, une source diplomatique révèle que l’effet sur l’économie de la Corée du Nord sera pareil. « Ce que le gouvernement américain cherche, c’est à exercer une pression psychologique sur les banques chinoises. Si les banques américaines évitent les transactions avec les banques chinoises qui ont des liens avec les banques ou autres institutions nord-coréennes placées sur liste noire, cela pourrait avoir des effets similaires à ceux provenant des sanctions de boycott secondaires. »xliii
Il ne fait pas de doute que les hauts responsables et les médias nord-coréens ont sorti des proclamations incendiaires, et ils ont entrepris des actions telles que la durcissement des échanges via la hotline militaire avec la Corée du Sud. Ils ont ainsi annoncé leur intention de relancer le réacteur nucléaire de Yongbyon et ont fermé temporairement le complexe industriel de Kaesong, ce qui semble exacerber considérablement les tensions. Pourtant, il y a de la logique dans leur comportement. Le gouvernement d'Obama n’a jamais été disposé à négocier avec la Corée du Nord et il vise manifestement à provoquer un changement de régime en multipliant sans cesse les sanctions et en développant des plans militaires menaçant l’existence même de la RPDC. En effet, les actions américaines ont encouragé la Corée du Nord à développer un programme d’armement nucléaire en guise de seule dissuasion réaliste contre une attaque, étant donné la technologie dépassée de son arsenal conventionnel.
Toutefois, les responsables nord-coréens savent que les États-Unis savent qu’ils ne disposent pas encore d’une arme nucléaire utilisable, pas plus qu’ils ne disposent d’un véhicule de lancement convenable. Les choix de la RPDC sont limités et, dès à présent, les responsables nord-coréens se rendent apparemment compte qu’ils n’ont que deux possibilités. Ils peuvent soit accepter docilement les séries de sanctions qui les frappent les unes après les autres tout en considérant avec impuissance les dommages croissants que subit leur économie et les menaces qui pèsent sur leur nation, soit durcir leur rhétorique afin d’adresser un message aux États-Unis. Ce message est celui-ci : si les États-Unis frappent la Corée du Nord, ils recevront une réponse plus forte qu’ils ne s’y attendent et ils devraient y réfléchir à deux fois avant de frapper, et, plus les États-Unis exerceront de pressions, plus la RPDC résistera.
Malheureusement, ceci engendre un cercle vicieux : plus les États-Unis sanctionnent la RPDC, plus celle-ci résiste et, plus elle résiste, plus il y a de sanctions contre elle. La seule façon apparente de sortir de cette impasse serait un processus de paix, mais le gouvernement d'Obama reste farouchement opposé à des négociations.
L’analyste spécialisé dans les questions internationales, Chen Qi, de l’Université de Tsinghua, fait remarquer que les États-Unis « n’ont pas respecté les préoccupations sécuritaires de la RPDC et que c’est la raison pour laquelle le problème nucléaire de la péninsule coréenne n’a pas été résolu ». Chen suggère ceci : « Washington peut ne pas désirer que le problème nucléaire de Pyongyang soit résolu, parce qu’il offre une excuse aux États-Unis pour déployer des systèmes antimissiles et poursuivre des exercices militaires dans la région, et la chose est en ligne avec leur rééquilibrage militaire de l’Asie de l’Est. »xliv Les hauts responsables américains, ne le perdons pas de vue, n’ont jamais dissimulé leur désir de provoquer un changement de régime en Corée du Nord, quels que soient les dangers de cette politique.
Un changement dans la politique américaine pourrait ne jamais avoir lieu, à moins que la Corée du Sud n’en montre résolument la voie, mais c’est une perspective peu vraisemblable pour l’instant. Un tel changement pourrait devoir attendre cinq ans, lorsque les prochaines élections présidentielles auront lieu en Corée du Sud. C’est un laps de temps très long, étant donné les intentions américaines d’accroître les tensions sur la péninsule coréenne. Si, avant cette date, la Corée du Sud ne fait pas preuve d’initiative vers une approche alternative, la question est de savoir combien de temps les tensions vont pouvoir continuer à frémir sans bouillir et déborder sur une crise dangereuse.
Source originale : Counterpunch
Traduit de l'anglais par J-M Flémal pour Investig'Action
Notes
v David
Wright, « Markus Schiller’s Analysis of North Korea’s Unha-3
Launcher, » All Things Nuclear, 22 février 2013.
vi Michael Elleman, « Prelude to an ICBM ? Putting North
Korea’s Unha-3 Launch into Context », Arms Control Association,
mars 2013.
x « DPRK
Delegate Makes Speech at UN Special Committee Session », KCNA,
23 février 2013.
Stephanie Nebehay, « North Korea Blames U.S. for Tension on
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xi « Nuclear Test, Part of DPRK’s Substantial Countermeasures to
Defend its Sovereignty : KCNA Commentary », KCNA, 21
février 2013.
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Defense », Yonhap, 13 février 2013.
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xv Lee Chi-dong, « ’Strongest Sanctions’ on NK, Output of Artful
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xvi Peter Ford, « China Agrees to Sanction North Korea, but How
Far will it Go ? », Christian Science Monitor, 6 mars
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Sanctions on Democratic People’s Republic of Korea in Response to 12 February
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Park Hyun, « UN Expected to Pass Exceptionally Tough Sanctions on
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Banks and Diplomats », New York Times, 5 mars, 2013.
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to North Korean Weapons of Mass Destruction Programs », Département
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xx Park Hyun, « New Unilateral US Sanctions Target North Korean
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xxi Kim Kui-kun, « North’s Threat Offensive…Signing of ‘ROK-US
Counter Provocation Plan’ Delayed », Yonhap, 12 mars 2013.
xxii Yi Yong-chong, « Secures Coordinates for a Commander’s Office
of the North ; If Missile Launched Against It », JoongAng
Ilbo, 11 mars 2013.
xxiii Song Sang-ho, « Korea, U.S. Set Up Plan to Counter N.K.
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xxiv Hong Jin-su, « U.S. Military Will Intervene Under Certain
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xxvii Kim Eun-jung, « U.S. B-2 Stealth Bomber Conducts First Drill
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xxx Kim Eun-jung, « U.S. B-2 Stealth Bomber Conducts First Drill
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xxxi « S.Korea to Buy Bunker-Buster Missiles from Europe », Chosun
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xxxii « Pres. Park Urges Preventing NK from ‘Daring’ to Launch
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avril 2013.
xxxviii Jay Solomon et Julian E. Barnes, « North Korea Warned », Wall
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xxxix Adrian Croft, « U.S. Wants EU to Put North Korean Bank on
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xl Ibid.
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