Dec 4, 2011

L’exploitation de l’homme par l’homme : notions de base

(Cours de formation d’accueil des nouveaux militants du Manidem - Leçon 1)

INTRODUCTION


Si nous avons choisi d’adhérer au Manidem, qui est un parti d’opposition au régime de M. Biya, c’est parce que nous avons conscience de ce que quelque chose ne va pas dans notre pays. Comme l’on dit souvent : « le Kamerun va mal. » Nous avons, par notre engagement au Manidem, décidé d’aider à changer les choses. Nous voyons qu’il y a une minorité de gens qui ne souffrent pas ; qui vivent bien ; qui mangent bien tandis que les autres meurent de faim. Ces gens envoient leurs enfants étudier à Mbeng pendant que ceux des autres n’ont ni livres ni cahiers, et que leurs parents n’ont pas de quoi leur payer la pension scolaire. Les riches vont se soigner à l’étranger pour le moindre rhume tandis que les autres Kamerunais meurent de paludisme, de choléra, de tuberculose, etc. Pourquoi ces inégalités ? Pourquoi les uns ont-ils des palais et les autres des taudis ?

Si nous avons décidé d’entrer au Manidem, c’est aussi parce que nous avons décidé de comprendre ce grand mystère. Car il est évident que si les uns souffrent,
  • ce n’est pas à cause de la malchance ;
  • ce n’est pas parce qu’ils ont violé une loi divine (comme Adam et Eve dans la Bible) que les riches qui vivent bien n’ont pas violée ;
  • ce n’est pas une affaire de destin qui aurait été écrit quelque part avant même leurs naissances ;
  • et ceux qui vivent dans le luxe ne travaillent pas plus dur que ceux qui vivent dans la misère.
Alors, quelle est la nature exacte de la maladie dont souffre le Kamerun, et qui fait que certains meurent de faim tandis les poubelles des autres débordent ? La recherche de la nature et de la cause exactes de cette maladie est le premier pas que nous devons faire si nous voulons soigner le Kamerun et nous sortir nous-mêmes de la misère… Pour soigner le malade, le médecin l’examine correctement ; il l’ausculte. (Pour lutter, le vrai militant politique ausculte le pays comme le médecin ausculte le malade). Et quand nous examinons ce grand malade qu’est le Kamerun, son bulletin de santé nous dit qu’il souffre de nombreuses de maladies : l’injustice, la pauvreté, la violence, la corruption, le mensonge, la démagogie, etc.

Mais si nous poussons plus loin notre examen, nous verrons qu’il y a une maladie qui est à l’origine de toutes les autres maladies. Cette maladie fondamentale est très grave et mortelle. Elle tue beaucoup de gens chaque jour. Elle s’appelle « l’exploitation de l’homme par l’homme. » C’est une vielle maladie - une maladie chronique – dont souffrent des milliards d’hommes sur tous les continents. Ce n’est donc pas une maladie typiquement africaine. Et la race noire n’est donc pas maudite.

SECTION I : LE « TRAVAIL » COMME SOURCE DE VIE POUR LES ANIMAUX ET L’HOMME

Quand nous regardons le monde de façon simple, nous voyons deux types de réalités :
  1. les réalités matérielles, qu’on peut saisir à l’aide de nos 5 sens (toucher, vue, ouïe, odorat et goût) ;
  2. les réalités intellectuelles ou spirituelles ou encore immatérielles qu’on ne peut pas saisir avec nos 5 sens. Ces réalités, ce sont les idées, les sentiments, les émotions. Et comme nous le savons, ces réalités n’ont pas de poids, de longueur, de volume, de goût, etc. Elles peuvent être mises dans nos têtes et manipulées par d’autres personnes sans même que nous nous en rendions compte. Et que cherchent ces autres personnes en agissant ainsi ? Elles cherchent à nous empêcher de voir les choses telles qu’elles sont réellement. Mais nous verrons cela plus loin.
Parmi les réalités matérielles, il y en a qui ne bougent pas ; qui sont complètement inertes. Par exemple, les cailloux ne se déplacent pas ; ils ne bougent que quand quelque chose d’autre les a déplacés. Ces réalités n’ont pas de besoins. Par exemple, les cailloux ne mangent pas, ne boivent pas.

Il y a d’autres réalités matérielles qui sont vivantes contrairement aux cailloux, mais qui, à peu près comme les cailloux, ne bougent pas véritablement. Ces réalités, ce sont les plantes. C’est vrai qu’il y a des fleurs qui se tournent vers le soleil pour avoir de la lumière, mais on ne les verra pas aller vers une flaque pour boire de l’eau. Et compte tenu du fait que les plantes ne se déplacent pas, elles meurent sur place si elles ne trouvent pas sur place la nourriture et l’eau dont elles ont besoin pour survivre. Même pour se reproduire (se multiplier), elles ont besoin que quelque chose d’autre vienne les aider. Ce quelque chose, ça peut être le vent qui porte leurs semences vers d’autres plantes, ou des abeilles pour le cas des fleurs, ou encore l’homme dans le cadre de l’agriculture.

En quelque sorte donc, les plantes ressemblent aux animaux parce qu’elles sont des réalités vivantes. Mais aussi, elles ressemblent aux cailloux parce qu’elles ne se déplacent pas pour aller chercher leur nourriture. En quelque sorte, les plantes ne font aucun "travail" pour se nourrir et survivre.

Par contre, les animaux et les hommes (qui sont aussi des animaux) doivent "travailler" pour survivre. On a l’habitude de penser que ce sont seulement les hommes qui travaillent. En vérité, tous les animaux travaillent. Quand la panthère chasse, elle travaille. Quand le singe cueille des bananes, il travaille. Quand le ver de terre fouille la poubelle pour se nourrir, il travaille.

Cette notion de « travail » est fondamentale pour comprendre le phénomène de l’exploitation. Si les animaux et les hommes ne travaillaient pas, l’exploitation n’existerait pas. Les plantes ne sont pas exploitées, parce qu’elles n’ont pas la capacité de travailler. Quand on récolte du mais dans son champ, on ne dit pas qu’on « exploite » les tiges de maïs.

SECTION II : LE TRAVAIL DE L’HOMME PRODUIT UN « SURPLUS »

II.1 - L’homme est un animal qui pense

L’homme appartient au royaume des animaux. Comme ces derniers, il est obligé (de par sa nature même) de bouger, de se déplacer, de « travailler » pour se nourrir et pour satisfaire à tous ses autres besoins. Mais aussi, l’homme réfléchit. Avant d’agir, il pèse les avantages et les inconvénients de ses actes. Comme le disent les philosophes pour montrer la différence entre l’homme et l’animal : l’homme est un « animal pensant. » Et comprenons-nous bien ici : quand je dis que l’homme pense, cela ne veut pas seulement dire qu’il cherche les « pourquoi » et les « comment » des choses ; cela veut aussi dire qu’il éprouve des sentiments, des passions, des émotions. Contrairement donc à ce qu’on croit généralement, les sentiments, les émotions et les passions ne sont pas étrangers à l’acte de penser. Il y a donc dans la tête de l’homme ces réalités qui, comme nous le savons, n’ont pas de poids, de longueur, de volume, de goût, etc., et qui peuvent être manipulées par d’autres personnes sans même que nous nous en rendions compte. [C’est comme ça que le RDPC et ses alliés nous manipulent, nous transforment en jouets, à notre insu.]

II.2 - Le travail de l’animal et de l’homme permet de produire un surplus

Pour vivre et survivre, l’animal et l’homme « travaillent » (contrairement aux plantes). Et ils sont capables de produire plus de nourriture qu’ils ne peuvent en consommer. Par exemple, une panthère est capable de tuer cent biches en un jour. De la même manière, l’homme est capable de défricher et planter des dizaines d’hectares de manioc qu’il ne peut pas consommer tout seul. Cette capacité, chez les animaux et les hommes, à produire plus qu’ils ne peuvent consommer, c’est la "force de travail".

II.3 - L’animal sauvage n’utilise qu’une toute petite partie de sa force de travail

Comme nous l’avons dit, la panthère est capable de tuer des dizaines de biches par jour, bien qu’elle soit incapable de conserver cette viande pour la consommer plus tard. En effet, quand une panthère a tué une biche et qu’elle en a mangé jusqu’à être rassasiée, elle abandonne le reste à d’autres animaux tels que l’hyène. Elle ne pense plus à chasser, parce ce qu’elle est incapable de mettre les restes de la biche au frais pour le lendemain. La panthère est donc obligée d’aller à la chasse (c’est-à-dire de travailler) chaque fois qu’elle a faim. En quelque sorte, la nature à donné à la panthère une force de travail dont elle n’utilise qu’une toute petite partie. [Notons quand même, pour être juste, qu’un certain nombre d’animaux sont capables de produire des surplus et de les conserver pour les consommer plus tard ; les écureuils par exemple. Mais, contrairement à l’homme qui produit des centaines d’objets différents, l’écureuil ne « produit » et ne conserve que des noix.]

II.4 - Caractéristiques de la force de travail chez l’homme

Contrairement à la panthère, l’homme peut décider de produire et de stocker des surplus même quand il n’a pas faim du tout. Il a cette aptitude parce qu’il est capable de penser. Il peut donc produire « intentionnellement » plus qu’il ne peut consommer, et stocker « intentionnellement » ce surplus de production. Par exemple, l’homme voit des nuages noirs dans le ciel et se dit : il va pleuvoir pendant plusieurs jours ; il faut donc que je fasse des provisions de bois. Ces provisions de bois constituent donc un surplus qu’il va conserver.

L’homme produit une très grande variété de surplus, parce qu’il produit une très grande variété de choses. Pourquoi ? De tous les animaux de la nature, l’homme est celui à qui la nature a donné le moins d’outils pour survivre. Il n’a pas de fourrure comme le mouton pour se protéger du froid. Il n’a pas de griffe comme la panthère pour déchirer la viande. Il ne court pas assez vite pour attraper l’antilope ou la biche comme la panthère… Mais il a un cerveau qui pense. Il peut donc (inventer et) produire des vêtements pour se protéger du froid, des couteaux pour couper la viande, des lances pour tuer l’antilope (la lance va plus vite que l’homme et l’antilope).

II.5 - La diversification des surplus et la naissance de l’échange

Dans les premiers temps de l’humanité, et pour survivre, l’homme doit donc produire une foule de choses dont les animaux n’ont pas besoin. Au début, chacun produit tout ce qui lui est nécessaire (un peu comme dans beaucoup de villages kamerunais avant la colonisation). Mais au fur et à mesure que l’expérience et les aptitudes de l’homme se développent, il « modernise » ce qu’il produit et invente de nouveaux produits pour satisfaire de mieux en mieux ses besoins. Les nouveaux produits finissent par être tellement nombreux que chacun ne peut plus s’occuper de tout produire. Les hommes commencent donc à se spécialiser. Par exemple : des gens choisissent de se consacrer davantage à l’élevage et il y a donc des agriculteurs d’une part, et des éleveurs d’autre part [C’est la « première grande division du travail »]. Puis, il y a des pêcheurs, des artisans (pour les meubles, les ustensiles, etc.). Tout ceci veut en réalité dire que les surplus produits par chacun sont de plus en plus spécialisés - l’artisan qui fabrique dix lits ne compte certainement pas dormir sur tous ces lits.

Il y a donc maintenant des surplus en nourriture, en habits (peaux d’animaux pour les premiers hommes), en boissons – vin de palme ou de raphia, etc.… et en outils (couteaux, lances, haches, houes, etc.). Les échanges (sous forme de troc) s’amplifient à un niveau tel que l’homme est obligé d’inventer la monnaie. La monnaie, c’est quoi ? C’est un intermédiaire entre les objets qu’on peut échanger, c'est-à-dire, en réalité, entre des surplus. Expliquons-nous : Abanda a besoin d’un lit et il dispose d’un surplus de plantains à échanger contre ce lit. Mais Ekane qui a un surplus de lits n’a pas besoin de plantain ; il cherche plutôt un mouton ; et Dikoume qui a un surplus de moutons ne veut ni du plantain, ni du lit ; il veut un couteau. Vous voyez que l’affaire devient terriblement compliquée. Il faut donc inventer quelque chose qu’on puisse échanger contre n’importe quel surplus sans se casser la tête. Cette chose, c’est la monnaie, qui est donc liée essentiellement à la production des surplus.

L’invention de la monnaie indique donc deux choses :
  1. que la diversité des surplus produits ne permet plus le troc, comme nous venons de le voir ;
  2. mais aussi, qu’il y a maintenant quelque chose de communautaire, de social dans la production des surplus (puisque l’homme ne produit plus seulement pour lui-même, pour prévoir l’avenir, mais pour échanger). En quelque sorte, les surplus qui, au départ, étaient uniquement destinés à être conservés, deviennent des « surplus échangeables » (Notez qu’on n’est pas encore dans le domaine du commerce, qui suppose la spécialisation d’un groupe d’hommes dans l’échange).
Jusqu’ici, tout va bien et chacun est maitre de soi-même. Il produit ce qu’il veut, selon les quantités qu’il veut. Il échange contre ce qu’il veut et avec qui il veut. Il ne reçoit d’ordres de personnes et sa survie dépend entièrement de lui, et de lui tout seul. C’est peut-être cela le paradis dont parlent les livres religieux. Ce paradis-là n’existe plus. Il a cédé la place à l’enfer de l’exploitation de l’homme par l’homme.

SECTION III : LA CONFISCATION PERMANENTE DES SURPLUS PAR L’ALIÉNATION DE LA FORCE DE TRAVAIL DE L’HOMME

III.1 - La production de surplus par l’exploitation de la force de travail des animaux

Dans les premiers temps de l’humanité, le travail de l’homme consiste à faire la chasse aux animaux et à cueillir des fruits et des racines. C’est pour cela qu’on a dit que les premiers hommes vivaient de chasse et de cueillette. Plus tard, l’homme domestique les animaux. Il le fait pour deux raisons :
  1. conserver des surplus de viande (protéines) pour ne plus avoir à chasser chaque fois qu’il a faim (comme le fait la panthère) et économiser ainsi sa force de travail – Nous verrons une autre fois comment le désir chez l’homme d’économiser sa force de travail est l’une des principales raisons qui le poussent à inventer toujours de nouvelles choses et de nouveaux outils ;
  2. utiliser la force de travail de l’animal pour produire des surplus. Ici, l’homme regarde le bœuf et il dit :
    « Voyez-moi un mbutuku comma ça ; donc tous tes muscles là, c’est seulement pour brouter l’herbe toute la journée ? Ah mof mi dé ! Si tu ne sais pas ce qu’on peut faire avec des muscles, je vais te montrer le corrigé. D’ailleurs, il y a un proverbe qui dit que si tu trouves ton mugu, il faut le tromper. »
    L’homme attèle (attache) le bœuf à une charrue pour faire de l’agriculture. Bien évidemment, avec le bœuf, il produit beaucoup plus de maïs (ou de macabo, ou de patates) qu’il ne pourrait le faire tout seul. Puis il laisse le bœuf aller brouter, c'est-à-dire, travailler maintenant pour se nourrir lui-même. C’est vrai qu’aujourd’hui, l’homme procure du fourrage au bœuf. Il achète peut-être ce fourrage. Mais le prix du fourrage fournit au bœuf est-il égal à la totalité de celui du maïs (ou du macabo, ou des patates) que le bœuf a produit ? Bien sur que non. Il y a donc exploitation de la force de travail du bœuf par l’homme. De la même manière, il y a exploitation de la force de travail du chien quand l’homme le domestique pour s’en servir à la chasse - il mange la bonne viande et lui jette les os. On peut citer de nombreux autres exemples d’exploitation de l’animal par l’homme. (Note : La question de savoir si l’exploitation de l’animal par l’homme est bonne ou mauvaise ne nous intéresse pas ici.)
III. 2 - La confiscation des surplus conservables chez l’homme

Pour ce qui concerne l’exploitation de l’homme par l’homme, on pourrait être tenté de penser que ça se passe comme avec le bœuf. On pourrait penser que les exploités sont les mugu des hommes intelligents de la société. Mais regardons autour de nous. Avez-vous l’impression que les riches au Kamerun, en Afrique ou ailleurs dans le monde sont nécessairement les gens les plus intelligents de la société ? Si le fils d’un homme riche nait bête, est-ce qu’il va cesser d’être un fils de riche et de vivre richement ? En réalité, l’exploitation de l’homme par l’homme ne se fait pas de la même manière que l‘exploitation de l’homme par l’animal. Elle comporte beaucoup de petits mystères qui font croire aux gens que les riches sont riches parce qu’ils sont très intelligents ; parce qu’ils ont beaucoup travaillé ; parce qu’ils ont vendu des arachides plus que les autres vendeurs ; ou parce que l’école rend riche, etc. [A propos de l’école, en quoi le fait d’y aller et de travailler ensuite dans un bureau climatisé produit-il un « surplus » conservable et échangeable ?]

Imaginons maintenant un groupe d’hommes qui se disent entre eux :
« Mes amis, pourquoi devons-nous souffrir à travailler alors que la capacité des autres hommes à produire des surplus peut nous permettre de vivre sans travailler ? Imaginez comment la vie serait belle si nous pouvions passer la journée à manger du bon porc-épic, du ndomba de vipère bien pimentée, du mintumba qui vient de chez Batjomb, le bon ndolè de chez Nanga Diboussi, le Koki que fait Youmoun les dimanches. On arroserait tout cela du bon vin de palme de chez Ovoundi. On dormirait sur des nattes décorées par Djibril. On aurait davantage de temps pour le songo, les courses de pirogues et la lutte traditionnelle. On aurait plein de temps pour nous amuser et même pour aller visiter le village voisin qui s’appelle Mbengue. Allons, n’ayons pas froid aux yeux, les amis ! Voler leurs surplus de temps en temps comme nous le faisons déjà n’est pas la solution. Et puis, c’est dangereux. Il faut trouver le moyen de faire que la totalité des surplus nous reviennent en permanence. »
La suite, vous l’imaginez. Ils se saisissent des armes qui servent habituellement à faire la chasse. Ils s’organisent en groupe armé et tournent leurs armes contre les autres hommes de la tribu. En d’autres mots, ils assujettissent les autres hommes. Ils en font des esclaves. Et les hommes se mettent à exploiter d’autres hommes de la même manière que l’homme exploite le bœuf. Pour la première fois, la société est divisée en deux groupes, non pas en fonction du sexe ou de l’âge, mais en fonction de la place que chacun occupe dans la production des biens qui permettent à l’homme de vivre et de survivre. (Nous verrons dans d’autres leçons comment naissent les autres classes sociales).

Etant donné que les nouveaux maîtres ne peuvent pas bien jouir de la vie si eux-mêmes passent leur temps à surveiller les esclaves dans les champs et à la chasse, ils recrutent quelques uns des esclaves auxquels ils confient le travail de surveiller les autres esclaves. Ils leur donnent des armes et les payent avec une fraction du surplus produit par les autres esclaves. C’est ainsi que naissent la police, la gendarmerie et l’armée. De la même manière, ils recrutent des gens pour gérer les surplus que la confiscation de la force de travail permet de générer. C’est ainsi que naît l’administration. Et ils mettent en place un corpus de règles pour protéger la société contre tout changement qui ne serait pas désiré et organisé par eux. Ces règles, ce sont les lois.

Or, malgré toute leur bonne volonté, les « gens d’armes » ne peuvent pas surveiller les esclaves tout le temps, même la nuit quand ils dorment. Nous avons dit plus haut que l’homme est différent de l’animal parce qu’il pense. Il se pose des questions et cherche des réponses. Et les réponses qu’il peut trouver peuvent l’amener à la révolte. Il faut donc que les nouveaux maîtres trouvent le moyen d’empêcher les nouveaux esclaves de penser, ou mieux encore, de les empêcher de voir leur nouvelle situation telle qu’elle est en réalité. Ils utilisent pour cela ces réalités qui n’ont pas de poids, de longueur, de volume, de goût comme nous avons vu tout à l’heure, et qui sont les idées, les sentiments, les passions, les émotions. Ils inventent une théorie qui dit que « le monde sera toujours comme ça ; il y aura toujours des maitres et des esclaves ; les doigts de la main ne sont pas égaux ; c’est Dieu qui met chacun à sa place dans la société ; nous devons aimer avec passion notre village parce que c’est le plus beau de la terre ; les autres villages sont habitées par des barbares (des « belobelobo » ou des « Nkpwa’ »), et ces gens-là, (horreur suprême !), mangent le macabo sans y mettre du sel ! Etc.

(Tout ceci ne vous semble pas familier ?). Cette théorie, ces idées, ces sentiments (y compris nationalistes) etc., constituent ce qu’on nomme l’idéologie.

Le nouveau groupe d’hommes armés et cette idéologie, avec d’autres choses dont nous parlerons plus tard, forment ce qu’on nomme l’appareil d’Etat . Comme vous le voyez donc, l’Etat, c’est un appareil pour contrôler les hommes ; il ne faut pas le confondre avec l’administration, qui est chargée de gérer les biens, c’est-à-dire les surplus produits. [Encore une fois, vous voyez que tout tourne autour des surplus et de la force de travail].

Pour mieux comprendre cette notion d’Etat, prenons l’église catholique qui est au Kamerun et comparons-la avec la Guinée équatoriale. L’église catholique au Kamerun a plus d’écoles, de dispensaires, d’enseignants, de personnel soignants, etc. que la Guinée équatoriale. Elle a une hiérarchie qui va du petit curé de brousse à l’archevêque. Ses membres dépassent en nombre la population de la Guinée Equatoriale. Qu’est-ce qui lui manque pour qu’elle soit comparable à la Guinée équatoriale ? C’est évident : elle n’a pas de prisons, de policiers, de gendarmes, de tribunaux, de juges… En un mot, elle n’a pas d’appareil d’Etat.

Avec la division de la société en classes (exploiteurs et exploités), nous entrons dans des périodes d’interminables conflits, qui ne pourront s’achever que le jour où les producteurs seront à nouveau libres d’utiliser leur force de travail à leur propre profit. [Que penser de la paix dont se vantent les militants du RDPC et le Renouveau ?] Tous les conflits dans la société naissent de la confiscation de la force de travail des uns par les autres. Et l’Etat sert à perpétuer cette confiscation.

Etant donné que l’homme est un être pensant comme nous l’avons vu tout à l’heure, les nouveaux esclaves ne cessent de réfléchir à leur nouvelle situation malgré l’idéologie du maitre, qui dit que « le monde sera toujours comme ça ; il y aura toujours des esclaves et des maitres ; les doigts de la main ne sont pas égaux ; c’est Dieu qui met chacun à sa place dans la société », etc. Les opprimés tentent de se libérer en se regroupant dans des associations, puis des syndicats, et plus tard, des partis politiques. Ils créent eux-aussi leur propre idéologie, qui dit tout le contraire de ce que dit l’idéologie de l’exploiteur. Cette idéologie dit que « le monde n’a pas toujours été comme ça ; qu’il n’y pas toujours eu des esclaves et des maitres ; que s’il est vrai que les doigts de la main ne sont pas égaux, il n’y a pas de raison que la nature et la société fonctionnent de la même manière ; » etc. Nous avons donc maintenant dans la société plusieurs idéologies qui reflètent plusieurs types d’intérêts sociaux, c’est à dire plusieurs types de rapports que les gens ont avec les surplus produits par les travailleurs. Tout ceci veut en réalité dire que les conflits de classes sont le fondement (ou la base) des conflits d’idées et d’opinions qui existent dans la société, même si, en général, cela n’en a pas l’air.

Nous verrons tout cela de manière plus concrète, lors de notre prochain cours, en étudiant « l’exploitation de l’homme par l’homme et les résistances populaires au Kamerun. »

(Ghonda Nounga)

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