Secrétaire général du Syndicat national unitaire des instituteurs et des professeurs des écoles normales - SNUIPEN
Pour nourrir cette controverse, nous partons du fait que la liberté syndicale et la protection des droits syndicaux, même si elles sont reconnues par la loi, n’existent pas en pratique lorsque les normes, principes et procédures de la liberté syndicale ne sont pas appliqués.
Les principes de la liberté syndicale ont été progressivement élaborés par les organes de contrôle de l’OIT au cours des soixante dernières années. A l’aune de ces principes, ont peut déterminer le niveau de violation ou de respect de la liberté syndicale et de la protection des droits syndicaux par un pays.
S’agissant du Cameroun, ce pays est membre de l’OIT depuis 1960. A ce jour, il a déjà ratifié plus d’une quarantaine de conventions de cette auguste institution, notamment la Convention n° 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical et la convention n° 98 sur le droit d’organisation et la négociation collective.
Que par ailleurs, la constitution de la République du Cameroun est très claire sur la valeur des conventions internationales. D’après son article 45, « les traités ou accords internationaux régulièrement approuvés ou ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois ». Cela signifie, concrètement qu’aucune loi, aucune ordonnance, aucun décret ou arrêté ne peut être contraire à une convention internationale régulièrement ratifiée.
Dans la réalité, qu’en est-il ? Pour répondre à cette question, il faut procéder à un inventaire des normes légales et réglementaires en vigueur au Cameroun.
Il s’agit des lois et règlements, mais aussi des décisions de justice ayant fixé une solution significative.
Inventorier les actes réglementaires et les décisions de justice étant ardu, nous nous contenterons dans notre étude de nous appuyer sur les lois en vigueur et les pratiques qui ont cours.
Aussi, nous listons la constitution, la loi n°68/LF/19 du 18 novembre 1968 relative aux associations ou syndicats professionnels des fonctionnaires, la loi n° 920/007 du 14 août 1992 du 14 août portant code du travail, la loi n°90/053 du 19 décembre 1996 relative à la liberté d’association. Des textes réglementaires en appui à ces lois, il peut être cité : le décret n°69/DF/7 du 06 janvier 1969 fixant les modalités d’application de la loi n°68/LF/19 du 18 novembre 1968, le décret n°93/574/PM du 15 juillet 1993 fixant la forme des syndicats professionnels admis à la procédure d’enregistrement, le décret n° 93/576/PM du 15 juillet 1993 fixant la forme du certificat d’enregistrement d’un syndicat, le décret n°94/199 du 07 Octobre 1994 portant Statut Général de la Fonction Publique de l’Etat modifié et complété par le décret n° 2000/287 du 12 octobre 2000.
De cette pléthore de textes, que se dégage-t-il concernant l’implémentation effective de la liberté syndicale. D’emblée il ressort que le mouvement syndical est divisé en deux grands secteurs comme suit : la fonction publique, régie par la loi n°68/LF/19 du 18 novembre 1968 et son décret d’application.
A cela on peut ajouter quelques dispositions éparses dans le Statut Général de la Fonction Publique de l’Etat ;
le secteur privé lui est régi par la loi n°92/007 du 14 août 1992 portant code du travail. L’application de ces lois est assurée par deux ministères différents, en l’occurrence le MINTATD pour la Fonction Publique et le MINTSS en ce qui concerne le secteur privé.
Cette approche dichotomique a abouti à une approche discriminatoire de l’exercice du droit syndical au Cameroun.
Si le Code de Travail présente quelques avancées, la loi relative au syndicalisme à la Fonction Publique présente des anachronismes et des incongruités grossiers. Le régime d’autorisation est de mise. La déclaration apparente que concède le Code de Travail est annulée par le pouvoir discrétionnaire du Greffier des syndicats dans la délivrance du Certificat d’enregistrement.
Les deux lois prévoient la dissolution par voie administrative. Le droit de grève est refusé aux fonctionnaires. Il est même un prétexte pour dissoudre un syndicat. Au niveau du code du travail, la grève n’est permise qu’après épuisement d’un processus tortueux de négociation alors que les cadres institutionnels de négociation sont bureaucratiques, dirigistes, lourds et pratiquement inopérationnels.
L’exercice du droit syndical sur les lieux de travail n’est pas protégé. Aucune disposition n’est prévue en ce qui concerne la protection des responsables syndicaux et les syndicalistes.
De ce qui précède, il ressort clairement que le dispositif légal et règlementaire camerounais en matière syndicale est obsolète, liberticide, anachronique et non conforme aux instruments juridiques internationaux ?
Dans la pratique, la situation est dramatique. En effet, aux insuffisances de l’arsenal juridique se greffe l’inculture syndicale et/ou l’ignorance létale, des pouvoirs publics, des employeurs et des travailleurs. Cela abouti à un cocktail explosif de violations multiformes. Un dispositif administratif policier et répressif veille jalousement au grain et entretien la peur, la démobilisation, l’autocensure.
L’action syndicale, à défaut d’être interdite connaît des restrictions énormes sur les lieux de travail. Les syndicalistes sont soumis à des sanctions directes ou implicites : arrestations, détentions, limogeages, interdiction de manifestation, menaces, intimidations et autres ingérences dans les affaires internes des syndicats sont le lot quotidien que vit le mouvement syndical camerounais. Cet état de chose semble satisfaire les pouvoirs publics qui font feu de tout bois afin que le statu quo perdure .
En effet l’article 5 de la loi n°53/90 du 19 décembre 1990 sur la liberté d’association prévoit en son alinéa 4 que les partis politiques et les syndicats feront l’objet de textes particuliers. Si la loi sur les partis politiques a été votée la même année, celle sur les syndicats est encore attendue 23 ans après. Or il y a urgence de mise en conformité de la législation camerounaise avec les normes internationales du Travail, l’image de marque du Cameroun en dépend.
Ce pays est l’objet de plusieurs plaintes pour violations de droits syndicaux auprès du Comité de la liberté syndicale du Conseil d’Administration de l’OIT à Genève et la plupart des rapports sur les violations générales des Droits de l’Homme placent le Cameroun en très mauvaise position.
Compte tenu de tout ce qui précède, on peut affirmer sans ambages que la liberté syndicale et la protection des droits syndicaux ne sont pas encore effectives au Cameroun. Ce pays gagnerait à effacer cette tare du fait que, le syndicalisme est non seulement l’expression la plus achevée de la démocratie, mais il est aussi démontré qu’un syndicalisme fort et puissant est indice d'une économie forte et prospère.
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