Feb 27, 2013

M. Paul Biya d’un discours à l’autre

Par Albert Moutoudou Secrétaire général de l’UPC 

- 31 décembre 2011 : « Nous voici au seuil de la première étape de notre « longue marche » vers l’émergence »
- 31 décembre 2012 : « Nous avançons résolument dans la voie de l’émergence » 
Le Cameroun n’était qu’un pays sous-développé, pudiquement désigné pays en développement par la langue du politiquement correct. A partir du 31 décembre 2011, M. Biya décréta que le pays se trouvait désormais sur le seuil de l’émergence. Comment aura-t-il préparé ses compatriotes à réussir ce bond qualitatif ? Il fait des annonces : Lom Pangar, le port en eaux profondes de Kribi, etc., laissant entrevoir des réalisations qui nous mènerons droit dans le camp des émergents que sont le Brésil, l’Afrique du Sud, l’Inde, la Russie. Doit-on rappeler que ces pays émergents le sont devenus à la faveur de circonstances particulières qui, à part le cas de l’Inde qui est une vieille démocratie, ont en commun ceci : c’est D’ABORD l’abolition des dictatures (ou de l’apartheid qui en tenait lieu en Afrique du Sud), et des oligarchies locales et étrangères accomplissant leur besogne de prédation à l’abri de ces dictatures, qui fut le mouvement décisif des transformations d’Afrique du Sud et du Brésil tout autant que du changement de cap en Russie ? Dans le cas du Brésil par exemple la succession des dictatures militaires engluées dans une corruption larvée fut l’occasion de pomper et de brader le pays pendant des décennies. Et, depuis l’avènement de la démocratie qui a d’ailleurs permis de porter une femme à la tête du pays aujourd’hui, madame Dilma Roussef, le Brésil est au sixième rang économique. 

Donc la démocratie d’abord et toute la démocratie ! Avec la démocratie, un pays accueille des investisseurs étrangers qui sont des partenaires, car ceux-ci savent qu’ils parlent à des gens jouissant de la légitimité populaire et de ce fait portés par leur peuple. On pourrait, en manière d’image, avancer que dans un pays où règne la démocratie le peuple s’invite en quelque sorte dans des négociations internationales, qu’elles soient économiques ou autres ; ainsi, les investisseurs étrangers ont-ils en face d’eux des négociateurs et/ou des dirigeants locaux que cette onction et ce soutien populaire obligent. De leur côté, les populations sont assurés avec la démocratie qu’elles peuvent non seulement oser mais réellement faire échec aux abus et passe-droits locaux sans avoir à essuyer les foudres de tous ceux qui sont dans des loges d’impunité dans des sectes transnationales et dans des ministères, au bureau, à l’usine, à la caserne, au quartier.

Sans la démocratie au contraire, les investisseurs étrangers cherchent des complices parmi leurs interlocuteurs locaux ; ils en connaissent les faiblesses, ou les devinent, à commencer par celle de n’avoir à rendre des comptes qu’au petit groupe d’intouchables dont ils dépendent. Ces investisseurs s’installent alors dans la séduction et la subornation d’hommes qu’ils ont en face d’eux et qui pensent essentiellement à leurs intérêts et à leur position. Les interlocuteurs locaux de leur côté savent parfaitement que le défaut de démocratie les protège quelque mauvaise décision qu’ils prennent au cours de leurs négociations. C’est alors que sans la démocratie le pays se trouve sous l’emprise de prédateurs locaux et étrangers. Reproduire le discours économiste qui se contente de fixer les chiffres de la croissance tout en repoussant l’idée que la clé du changement c’est en premier la démocratie qui libère les têtes, les énergies et les structures polluées et bloquées, ça ne nous laisse plus que le pathétique d’avoir à nous payer de mots, d’un discours à l’autre.

- 31 décembre 2011 : « Ainsi que je m’y suis engagé, la période qui s’ouvre sera essentiellement consacrée à la relance de la croissance. »
- 31 décembre 2012 : « Je vous ai dit, il y a un an, que la période qui allait s’ouvrir en 2012 serait celle de la relance de la croissance » 
Le concept de la croissance est sérieusement remis en cause aujourd’hui. On ne peut plus parler de la croissance comme il en était question au début du 20ème siècle, dans la fascination d’usines géantes, l’extension du travail à la chaîne, des dernières technologies mises au service de l’exploitation des mines dans des contrées qui n’avaient pas seulement une piste routière quelques temps auparavant, et tout cela dans l’emballement des afficheurs financiers d’édifices boursiers. D’ailleurs sans chercher loin, sous le règne de M. Ahmadou Ahidjo déjà et à partir de 1965 la croissance s’envola dans notre pays jusqu’aux valeurs à deux chiffres et pendant près de vingt ans (en comparaison, la Chine dont la croissance fait saliver certains chefs d’Etats n’a eu une croissance à deux chiffres qu’en trois occasions dans la dernière décennie : 2006 (10,2%), 2007 (11,9%) et 2011 (10,3%)). Qu’avons-nous donc tiré de notre insolente croissance qui fut en moyenne de 15% sur deux décennies ? Qu’en ont tiré nombre de pays africains qui furent également dans cette envolée qui fit pérorer de prétendus experts annonçant le décollage imminent de l’Afrique ? La réponse vint peu après dans la façon peu glorieuse dont certains de ces pays, à l’exemple du Cameroun, quémandèrent l’aumône du statut de Pays Pauvres Très Endettés (PPTE) dont le seul libellé évoque tout un roman. En un demi-siècle, sur la croissance que l’on cherche obstinément et en l’absence de laquelle nombre de gouvernants sans imagination capitulent, les considérations lénifiantes d’hier ont fait place à la seule question qui vaille désormais : quel type de croissance voulons-nous ? 

- 31 décembre 2012 : « Nous montons déjà des tracteurs. Nous monterons peut-être bientôt des voitures. »

Qu’un pays à vocation agricole comme le nôtre s’occupe aussi des tracteurs cela peut se comprendre. Mais quand même des tracteurs sont estampillés made in Cameroon, combien de Camerounais cela occupe-t-il ? En outre, la grande majorité de nos paysans ne disposent ni du pouvoir d’achat requis pour acheter des tracteurs, ni des moyens de se pourvoir en pièces en rechange, en carburant et en savoir-faire pour l’entretien et la maintenance de ces engins. Dans ces conditions n’est-ce pas abusif d’annoncer l’agriculture de seconde génération quand on cherche vainement celle de la première génération ?

- 31 décembre 2012 : « Il nous faudra pour cela moderniser nos méthodes, mieux former nos agriculteurs, tirer parti du progrès scientifique, trouver des financements innovants, en d’autres termes, passer à l’agriculture de seconde génération ».

La modernité technique de l’Afrique marche du même pas que ses populations, elle est « claudicante et binaire », pour reprendre les termes d’Aimé Césaire[1]. Paradoxalement, cela n’a pas que du mauvais : nous y gagnons, dans l’impossibilité où nous sommes encore de pouvoir mobiliser un important patrimoine technique, économique et culturel qui fait défaut, d’avoir à trouver nos propres solutions à partir de nos conditions concrètes. Ceci revient à dire qu’acquérir des technologies avancées pour l’agriculture, des tracteurs par exemple, exige de se préoccuper aussi de la maîtrise des techniques plus répandues du monde rural ; d’abord de celles qui font partie du patrimoine local qu’il faut inventorier, rationaliser et transmettre méthodiquement aux nouvelles générations ; ensuite de celles que l’on peut à présent capitaliser dans la provision d’expériences anciennes des sociétés développées. Je pense par exemple aux techniques de la traction animale qui n’est pas généralisée en Afrique, alors que dans les villages des pays de l’Est de l’Europe et ceux de Chine des paysans mènent leurs activités agricoles et se déplacent en se servant toujours de la puissance de travail d’animaux domestiques. On sait pourtant combien le recours à la traction animale impacte sur l’artisanat local de menuiserie, charreterie, ferronnerie, peausserie-tannerie, qu’accompagnent l’essor de l’élevage d’animaux de trait ainsi qu’une meilleure prise en compte de l’entretien et du développement des pistes ; s’ensuit une organisation locale plus rationnelle qui participe à la préparation des conditions de la production sociale moderne.

Le fait est que la plupart de nos pays en développement n’ont pas main mise encore sur des techniques et des moyens que les pays avancés utilisèrent par le passé dans des époques où le niveau de leurs ressources humaines et/ou de leurs infrastructures étaient relativement comparables à celui des pays en développement actuels, techniques et moyens ayant pourtant fait leur preuve. D’autre part, nous constatons que si des progrès scientifiques, techniques et technologiques produisent des outils plus performants, le maniement de ceux-ci n’est pas toujours aisé pour les pays comme le nôtre et quand c’est le cas la note est lourde. Il s’agit donc toujours, dans un domaine donné, de savoir calculer le coût généré par l’écart entre le niveau des techniques modernes et ce qu’il y a lieu d’acquérir comme savoir-faire en local pour maîtriser lesdites techniques. Le constat que l’on peut établir facilement est le suivant : nous sommes à présents assez armés (instruction, culture générale, outils disponibles) pour maîtriser à bon compte les anciennes techniques ayant fait leur preuve ; quant aux nouvelles, elles poursuivent leur train d’enfer sous l’effet de la concurrence entre pays avancés notamment, sans se soucier du niveau de nos pays pour l’acquisition des savoir-faire correspondants. Cependant, elles nous fascinent et tous les jours des marchands sont à nos portes, proposant aux négociateurs locaux dont je parlais plus haut, lesquels négociateurs locaux succombent pour des raisons que j’ai aussi évoquées.

S’il n’est plus nécessaire d’inventer la machine à calculer de Pascal et si nous gagnons à passer directement aux outils actuels de Bill Gate, nous devons cependant tenir que dans nombre de domaines, en particulier les domaines vitaux qui ont porté l’homme depuis le néolithique (agriculture, pêche, chasse, techniques d’irrigation, approvisionnement en eau potable, etc.), accéder à notre modernité nous oblige à marcher sur nos deux jambes, à savoir : diffuser des techniques anciennes (locales et étrangères) qui ont fait leur preuve, emprunter à bon compte des savoir-faire facilement assimilables par nos populations dans l’état actuel de ces populations caractérisé par de nombreux déficits (instruction, structures de formation, pesanteurs culturelles, etc.), tout en identifiant les avancées modernes qui nous sont nécessaires et en acquérant au cas par cas les savoir-faire correspondants. Si « moderniser nos méthodes » consiste à loucher du seul côté des méthodes modernes des pays développés tous les désespoirs sont permis.

Je comprends que des chefs de projets et des représentants de l’Etat à telle ou telle négociation soient flattés d’apposer leur signature au bas d’importantes acquisitions modernes, mais ils sont aussi les moins capables d’en calculer le coût global de possession et se contentent généralement des données des fournisseurs. C’est ainsi que nous découvrirons à l’utilisation des coûts que nous n’avions su calculer préalablement (formation, entretien, pièces de rechange, etc.) et qui apparaissent alors pour ce qu’ils sont : au-dessus de nos moyens. Cela donne des unités de production qui tournent à 25% de leur capacité théorique, des équipements devenus inutiles dès que livrés et qui s’écaillent sous le soleil et la poussière (ce qui n’empêche pas de les astiquer hâtivement à l’occasion du passage d’un haut dirigeant qui est assez fier de parader devant du matériel « virtuel ») [2].

Qu’on m’entende bien : nous avons des informaticiens de pointe chez Microsoft, des chimistes de renom chez Total et chez BP. Notre capacité à maîtriser les savoir-faire modernes n’est donc pas en cause dans l’absolu. Je ne pense ici qu’aux déficits propres à notre société, lesquels font que cette maîtrise est encore poussive. Nous les voyons sans oser en parler. Dans la séquence parler pour ne rien dire nous avons même eu droit à un congrès baptisé « Congrès de la maîtrise du développement », (Bafoussam, 1980) avant de tomber dans la séquence Pays Pauvres Très Endettés (octobre 2000), comme pour rire. Or ces déficits sont énormes et parfois terrifiants. Voici un exemple que de nombreux compatriotes ont certainement vécus cent fois : j’accompagne une parente à un examen médical ; après celui-ci les résultats sont présentés au médecin qui les avait commandés et qui nous tient le plus parfait charabia après lequel nous nous sommes mis à redouter le pire, ma parente et moi. Avec les résultats d’examen je cours en douce consulter un autre médecin. Celui-ci manque de s’étrangler en parcourant le bulletin d’analyse. Il me déclare tout net que ce qui est inscrit ne jure pas qu’avec les pronostics les plus fondés sur les symptômes de ma parente mais avec tout ce qui est concevable en analyses médicales ! Les résultats du laboratoire ne voulaient rien dire ! Tout simplement ! Les techniciens s’étant contentés d’appuyer sur des boutons et d’inscrire des résultats qui étaient faux (appareils déréglés et sans entretien ? mauvaise formation des techniciens ? il y avait certainement de tout cela) sans se poser la moindre question, sans que l’incohérence de leurs chiffres et notes leur saute aux yeux. J’interroge le médecin sur les raisons qui auraient poussé son confrère à prendre ces résultats d’analyse pour argent comptant au point de nous débiter des nouvelles alarmantes sur l’état de santé de ma parente. Il m’explique que l’établissement de ce médecin étant le même que celui du laboratoire, la désuétude du matériel du laboratoire et le manque de savoir-faire des techniciens donne invariablement droit aux hiéroglyphes du bulletin d’analyse en provenance du laboratoire, celles-ci sont ensuite couvertes par un charabia pseudo scientifique du médecin tentant d’expliquer l’inexplicable. De telles attitudes sont moins nombreuses dans le domaine très sensible de la santé et beaucoup plus répandues dans les nombreux autres domaines où les déficits de savoir-faire ne peuvent entraîner que des conséquences matérielle et financière. En face de technologies dites sophistiquées, nous avons trop souvent ce que les Anglo-Saxons appellent des Push-buttons (des pousseurs de boutons) incapables d’expliquer ce qu’ils sont en train de faire et les résultats qu’ils recherchent. Posez-leur la moindre question et ils vous racontent n’importe quoi ou se drapent derrière une scientificité discutable. Mais c’est notre niveau général qui veut cela partout où nous sommes confrontés aux outils modernes. Ce niveau général est encore durci par des « techniciens du savoir pratique[3] » qui en jargonnant cherchent à épater des populations qu’ils tiennent pour des abrutis.
- 31 décembre 2011 : « Qu’il s’agisse de la santé, de l’éducation, du logement, de la sécurité sociale, de l’accès à l’électricité, à l’eau potable, soyez sûrs que les engagements que j’ai pris seront tenus dans toute la mesure du possible. » 
- 31 décembre 2012 : « Or, à cet égard, on doit reconnaître qu’il reste beaucoup à faire. L’accès à l’eau et à l’électricité reste très insuffisant, qu’il s’agisse des villes ou des zones rurales. » 

Nous aurions été éclairés si M. Biya avait présenté quelques éléments des progrès accomplis en l’espace d’une année dans les domaines si bien identifiés en 2011 (éducation, santé, etc.). Il n’en est rien. Nous courrons donc le risque de ces énumérations que l’on finirait par prendre pour de bonnes intentions seulement, lesquelles, nous dit-on, parsèment l’enfer aussi. Ce qui intéresse les Camerounais au fait des difficultés dans chacun des domaines cités c’est d’être rassurés que d’une année à l’autre des améliorations ont eu lieu. Si l’on ne s’en tient qu’à l’eau potable et à l’électricité, combien de Camerounais seraient prêts à attester que leur situation a connu des progrès de 2011 à 2012. Les usagers de la SNEC et de l’AES-SONEL ont-ils été mieux ravitaillés en 2012 ? Ont-ils connu moins de coupures ? Leurs quittances ont-elles été moins lourdes et plus déchiffrables ? Assurément non ! AES-SONEL s’est même permis une augmentation des tarifs au courant de l’année 2012 sans que s’ensuivent des améliorations des prestations. A l’heure où j’écris, dans mon quartier, nous n’avons qu’une fenêtre d’une à deux heures par jour pour le ravitaillement d’un filet d’eau et les coupures d’électricité sont quotidiennes. Et cela dure depuis des mois[4]. Or les coupures intempestives d’électricité abiment les appareils électriques que l’on doit donc réparer ou remplacer à grands frais, elles font perdre des denrées périssables aux commerçants comme aux particuliers, elles compromettent le travail dans des ateliers artisanaux où les ouvriers se trouvent obligés de travailler à la va-vite entre les coupures, etc. Dans un état de droit les usagers porteraient la SNEC et l’AES-SONEL devant les tribunaux et recevraient des dédommagements à cause des perturbations qu’ils subissent. En face du désordre de la SNEC et de l’AES-SONEL l’on s’attend, au minimum, à quelques mesures des autorités qui viendraient au secours des usagers dont le rapport des forces n’est que trop inégal en face de ces sociétés, afin qu’ils obtiennent réparation des préjudices et que le service qu’ils paient leur soit rendu. Au lieu de cela l’on a plutôt vu commanditer une pseudo-organisation de consommateurs qui s’est spécialisée dans la justification des augmentations des tarifs d’AES-SONEL.

Des millions de Camerounais n’ont toujours pas accès à l’eau potable; ils se ravitaillent aux sources des rivières, aux puits plus ou moins entretenus, parfois aux forages pompant des nappes phréatiques. En maints lieux la corvée d’eau oblige encore à marcher des kilomètres pour obtenir une eau de qualité discutable et dont la quantité fait parfois défaut. On boit ces eaux, on fait de la cuisine avec, on se lave et les habits qu’on lave avec ces eaux ont de longue date perdu leur éclat. L’usage de ces eaux chargées de quantités d’impuretés est nuisible à la santé et de ce fait la cause des millions perdus pour guérir des indispositions passagères ou chroniques, et ces indispositions vont jusqu’à des pertes en vies humaines. L’eau est ainsi au cœur de la santé publique.

Or l’accès à l’eau potable appartient justement aux domaines qui sont dans les problématiques des hommes et des sociétés depuis des millénaires et qui, au stade actuel du développement de notre pays, invite justement à porter notre attention à la fois sur des techniques anciennes et/ou artisanales tout autant que sur les techniques modernes de traitement et de distribution d’eau. Nous avons à rationaliser, améliorer et étendre les premières (par exemple : facilitation de l’accès aux outils et aux techniques pour creuser des puits, conseils d’entretien, d’hygiène et de sécurité, méthodes de filtrage, etc., dans l’objectif d’aboutir à ce que chaque concession ait sa source d’eau propre), tout en travaillant à ce que les secondes deviennent vraiment efficientes et prennent toute leur place. Dans ce souci de rationalisation, d’amélioration et d’extension des méthodes anciennes la puissance publique et les autorités locales doivent jouer leur rôle[5].
- 31 décembre 2011 : « Je saisis cette occasion pour réaffirmer que les dysfonctionnements qui ont été constatés et qui, de toute façon, n’étaient pas de nature à remettre en cause les résultats de la consultation, seront corrigés avant les prochaines échéances électorales. » 
- 31 décembre 2012 : « Dans notre souci permanent de moderniser notre processus démocratique et de renforcer la transparence et la crédibilité de nos élections, il a été décidé de refondre le fichier électoral et d’introduire la biométrie dans la confection des documents électoraux. Il est impératif que cette opération soit menée à bien dans les délais prévus. » 
Quand des amis étrangers m’interrogent sur les élections dans mon pays et que je leur apprends que nous n’avons même pas de scrutin à deux tours, je les vois accablés pour le sort qui est le mien et celui de mes compatriotes. Et notre Président se figure qu’il « modernise » avec la biométrie. Quelle relation probante entre la biométrie et la démocratie ? Il n’y en a pas, aussi nombre de pays démocratiques ne l’utilisent-ils pas. La biométrie toute seule ne rendra donc pas les élections plus démocratiques au Cameroun. C’est par la transparence et la justice du déroulement des élections que notre pays se hissera au rang d’un Etat moderne. Cela commence par une Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) dont les membres ne seraient pas démissionnés du RDPC pour donner le change la veille de leur nomination, dont les membres ne seraient pas désignés par le seul président de la République mais retenus par consensus par toutes les forces vives de la nation. La chose est relativement simple à faire à la condition de le vouloir. D’abord, le gouvernement, les partis politiques, les syndicats, les autorités religieuses, chacune des parties faisant une vingtaine de propositions, peuvent dresser une liste contenant une centaine de noms de nos compatriotes aptes à ce rôle de membres de la CENI. A partir de cette liste, l’on ne retiendrait qu’une trentaine de noms au final qui auraient l’assentiment du plus grand nombre. Le deuxième aspect concerne le fonctionnement de la CENI qui doit être régie par des dispositions qui mettent ses membres à l’abri de la funeste influence du pouvoir en place (autonomie financière, protection de ses membres, etc.). 

Ce n’est ni dans les chiffres de la croissance ni dans la somptuosité des constructions que l’on décèle les premiers signes de la désagrégation des sociétés, mais bien souvent dans des signes repérés à la marge. Rome était déjà une coquille vide et pendant ce temps ses empereurs et ses consuls continuaient à entretenir l’apparat et à discourir sur le destin singulier de leur nation. Chez nous, l’un de ces signes a été dans le taux élevé d’abstentions à la dernière élection présidentielle, où moins de 5 millions de personnes ont voté[6]. En octobre 2011, se sentant peu préparés encore à déjouer la-machine-à-gagner-les-élections de M. Biya, les Camerounais se sont retirés du jeu : « Faites sans nous », ont-ils laissé entendre au président de la République. A mon sens, ce n’est pas la meilleure attitude citoyenne : chaque Camerounais devrait plutôt réclamer des élections propres et se mobiliser pour les obtenir au lieu de choisir l’abstention passive. Mais je peux comprendre les abstentionnistes passifs du dernier scrutin.

Depuis 2011, d’autres signes ont suivi. Il s’agit de l’affaire Vanessa mettant en lumière la traite de bébés et de l’affaire des trafics des corps à la morgue, et tout ceci dans nos meilleurs établissements de santé. Ce sont là des signes qui campent le décor d’un désastre annoncé dont nous ne nous sauverons ni par l’indifférence ni par la méthode Coué.

Qui donc pourrait te renseigner ?
Il se peut que l’Heure soit proche ![7] 
Le 23 janvier 2013 

Notes:[1] Aimé Césaire, Moi liminaire
[2] Sur la durée de vie d’un système (10, 20, 30, … 50 ans) la représentation du coût global de possession (life cycle cost) est une courbe vaguement en cloche, qui fait apparaître le coût d’acquisition, le coût d’exploitation (locaux, formation et salaires des utilisateurs, documentation, l’emballage, la manutention, le stockage et le transport des équipements, l’entretien et la maintenance du hard et du soft, les pièces de rechange,…), le coût de la mise au rebut. Chaque élément composant le coût d’exploitation peut devenir un casse-tête chinois et requérir des ressources qui n’avaient pas été calculées correctement. Quant au coût de la mise au rebut, il est monté en flèche à cause de l’attention plus grande désormais accordée et à juste titre aux questions d’environnement : autrefois lorsqu’un système était obsolète ou abandonné, on le laissait sur le bord de la route, sur un terrain vague ou sur le site où il fut opérationnel et l’herbe repoussait dessus; aujourd’hui, il faut se soucier de démanteler élément par élément et par des spécialistes qui savent préserver ce qui mérite de l’être et éviter que ni l’environnement ni les populations ne souffrent de ces vieilleries. Ce dernier coût peut devenir prohibitif. 
[3] C’est Jean-Paul Sartre qui désignent les intellectuels par ces termes dans Plaidoyer pour les intellectuels. 
[4] Voici un message SMS reçu : « AES Alert. Service électrique tendu ce jour. Possibilité de coupure chez vous. Economiser l’électricité permet de réduire les perturbations. Regrets. Info 99 11 99 11 ». Ce message a été reçu le 11 janvier 2013 à 21h08, le 12 à 17h22, le 18 à 18h36, le 19 à 13h30. Soit quatre fois sur la distance d’une petite semaine qui de fait fut perturbée chaque jour ! AES-Sonel prend parfois soin d’avertir les usagers. Ce n’est pas le cas de la SNEC qui multiplie les coupures sans prévenir. 
[5] Autrefois, il y eut un roi dont le souci principal fut que chacun de ses concitoyens eut sa « poule au pot ». Ce n’est pas terrible comme programme mais c’est déjà ça : le souci que chacun puisse manger de la viande. Nous nous porterions mieux aujourd’hui si dans les villes comme dans les villages, nous pouvions gagner un puits pour chaque concession, proprement creusé et avec l’aide des pouvoirs locaux, aménagé loin des latrines et de toute source de pollution, suivi de quelques conseils pour les rudiments de traitement d’eau. 
[6] En 2011 le nombre d’électeurs supposés inscrits, sur les listes truffées de doublons, de triplons, de morts ressuscités était de 7 521 651. Les votants étaient de 4 951 434, les votes non nuls 4 837 249. Avec près de 77,98% des voix, M. Biya est élu Président par 3 772 527 Camerounais. Or les prévisions du Bureau Central du Recensement et des Etudes des Populations (BUCREP) indiquent qu’à la date de 2010 le Cameroun devrait compter environ 8,5 millions d’habitants en âge de voter. Rapporté à ce chiffre, seulement un peu plus d’un électeur sur deux aura voté en 2011. 
[7] Le Coran, Sourate intitulée Les Factions, XXXIII, 63.

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