Aug 30, 2012

Anicet Ekane analyse la trajectoire de certains acteurs politiques camerounais (interview)


Propos recueillis par Jean-Bruno Tagne et Yelva Sambha’a (Le Jour du 29 août 2012) 

Pensez-vous que ceux qui ont cheminé avec le président Biya sont disqualifiés de la course à sa succession ? 

Le problème n’est pas d’avoir été au Rdpc ou d’avoir participé au gouvernement. Le problème est de savoir si on est un opposant structurel, c’est-à-dire par rapport à la structure néocoloniale du régime ou du pouvoir ou un opposant conjoncturel au sein de la grande famille de l’Union camerounaise. Ce qui caractérise justement ce terme de l’opposition c’est qu’il englobe tout, c’est-à-dire des opposants au système néocolonial qu’on retrouve généralement dans la grande famille patriotique et les autres opposants au régime de Paul Biya. Mais, ceux-ci, sur le plan idéologique et sur le plan de la trajectoire politique se retrouvent en réalité dans le camp du Bloc démocratique camerounais, c’est-à-dire des personnalités ou des groupes politiques qui considèrent que ce n’est pas le système néocolonial qui est la cause fondamentale des problèmes du Cameroun, mais la bonne gouvernance. 

Plus concrètement, pensez-vous que lorsqu’on a été militant du parti au pouvoir ou ministre, on perd une certaine légitimité quant à la conquête du pouvoir ? 

La légitimité du pouvoir c’est le peuple qui la donne. C’est le peuple, en dernière analyse, qui décide  de qui doit diriger notre pays ou pas. Ce qu’on peut dire concernant ces ouvriers de la 25ème heure, c’est qu’il y’a dans leur attitude des comportements plus ou moins décents ou acceptables. On ne peut pas avoir cautionné la répression, la torture en 2008 (un certain nombre d’entre eux étaient au pouvoir quand on massacrait les jeunes) et prétendre qu’on est véritablement opposé à ce régime. On peut comprendre que Kamto ait des différences avec le régime de Paul Biya et qu’il en soit sorti, de même pour Marafa et tous les autres qui y ont été. Mais prétendre qu’aujourd’hui notre pays doit encore être gouverné par ceux-là mêmes qui ont consolidé un système aussi barbare que le système néocolonial, c’est cela qui pose problème. C’est à nous d’éclairer les Camerounais. En dernière analyse, les Camerounais choisiront. Veulent-ils qu’on fasse le remake Ahidjo – Biya ou Biya – Kamto, ou Biya – Marafa, ou veulent-ils que le pays s’engage véritablement dans une rupture avec le système néocolonial ? C’est le peuple qui décidera. 

Sont-ils condamnés à jamais, même s’ils prennent leurs distances avec le pouvoir ? 

C’est le peuple qui décidera. Mais il est de notre responsabilité d’attirer l’attention des Camerounais pour qu’on ne nous rejoue plus l’histoire Ahidjo – Biya. C’est à nous d’expliquer aux Camerounais que si on veut vraiment avancer, il faut opérer une rupture avec ce système et ne pas faire des aménagements liés à la mauvaise gouvernance, uniquement parce que certains d’entre eux, y compris des dirigeants de l’opposition depuis 1990, font partie de la même famille. Tous pensent encore que c’est l’Occident qui place les gens au pouvoir, qui décide du sort des hommes politiques. C’est pour ça que vous remarquez qu’ils sont très souvent affiliés ou très présents dans les couloirs des représentations diplomatiques. 

Sans le citer, vous parlez de Fru Ndi. Il a été certes au Rdpc, mais peut-on lui contester aujourd’hui sa place de leader de l’opposition camerounaise ? 

Nous ne contestons pas la volonté de tel ou tel Camerounais de dire que maintenant nous voulons en finir avec le régime de Biya. Mais nous sommes à mesure de nous interroger sur ces parcours sinueux,  bizarres, de ces opposants et de ces questions récurrentes de l’unité de l’opposition. Un de vos confrères disait justement que le problème de l’opposition c’est comme dans un troupeau. Vous faites un troupeau de chèvres et de moutons. Les moutons ne marchent jamais tout droit. Ils zigzaguent. Les chèvres marchent droit. Donc, quand vous faites un troupeau de chèvres et de moutons, cela ne donne pas quelque chose d’homogène. L’opposition aujourd’hui est composée de chèvres qui marchent droit et des moutons qui zigzaguent. 

Au Sénégal, Macky Sall a bien cheminé avec Abdoulaye Wade, mais cela n’a pas empêché qu’il s’oppose à son mentor et prenne sa place… 

Il ne faut pas transposer ce qui se fait au Sénégal au Cameroun. L’avantage que les pays d’Afrique de l’Ouest ont sur le Cameroun c’est que les dictatures de parti unique là-bas n’ont pas anéanti la société civile. Les syndicats et les associations ont conservé toutes leurs forces. Par contre, la dictature d’Ahidjo et de Biya a trop unifié ; syndicat unique, parti unique, etc. Ahidjo a même dissout les associations comme le Ngondo. Donc, cela fait en sorte qu’on arrive à une situation d’aération politique où les associations de relai des droits de l’homme ont peu d’envergure. Les courroies  de transmission sont peu nombreuses. Il n’y a pas d’interlocuteur associatif, syndical valable. Ça crée une société désordonnée, moins organisée qu’un pays comme le Sénégal où nombre de mots d’ordre  peuvent mieux s’insérer dans la société. Et même que si on prend le cas de Macky Sall, regardons la suite des évènements pour en juger. Parce que je vous rappelle quand même qu’en 1982 il y’avait beaucoup d’espoir.

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