Apr 15, 2011

Côte d’Ivoire : des leçons pour l’opposition révolutionnaire kamerunaise

par Ghonda Nounga

Tous ceux qui sont en lutte contre des ennemis plus forts (tel l’impérialisme) savent par cœur :
  1. qu’il faut en permanence évaluer les rapports de forces et accorder ses actions tactiques à ce rapport sans jamais perdre de vue ses objectifs stratégiques ;

  2. que quand la mangue tombe avant la période de la cueillette, le paysan ne s’en prend pas au vent, mais examine l’état de la tige car, comme dit le bon peuple, « le vent ne fait que son travail » (comme il est de la nature de l’impérialisme d’être rapace et guerrier !) ;

  3. et que par conséquent, il ne sert à rien de larmoyer, et qu’il vaut mieux « regarder là où on a glissé plutôt que là ou on est tombé » (encore un merveilleux proverbe africain). C’est bien ce que recommandait le poète et militant Agostinho Neto en son temps : « Nous combattrons, les yeux secs. » L’impérialisme a encore frappé en Côte d’Ivoire, c’est plus que vrai. Mais inutile de hurler et maudire les dieux.
L’on en conviendra aisément, pour peu qu’on ait une certaine vision du développement de l’histoire des peuples, le problème en Côte d’Ivoire, contrairement à ce qu’en pense le commun des mortels, n’est pas celui d’une opposition entre deux individus. Bien qu’il n’en ait pas l’air, il renvoie clairement aux conflits de classes en Côte d’Ivoire, du moins tels que ces conflits se déploient depuis l’indépendance de ce capitalisme de périphérie plus ou moins prospère sous Houphouët. Nous ne nous étendrons pas outre mesure sur cet aspect de l’actualité en Côte d’Ivoire. Mais il est bon de noter que dans la crise qui vient de prendre fin, il était aussi vain de détester Gbagbo que d’aduler Ouattara.

En réalité, on doit considérer Gbagbo comme une figure tragique, et il formerait bien le sujet d’une pièce de théâtre à l’instar de La tragédie du roi Christophe (parole de dramaturge !). Voici un homme, avec des idées relativement honnêtes, qui arrive au pouvoir de manière calamiteuse (comme il le dit lui-même), avec un parti - le FPI - idéologiquement et structurellement faible, dans lequel s’engouffreront bientôt les « Ivoiritaires » qui ont servi et sévi sous Bédié quelques années plus tôt.

Pour que l’affaire « saute aux yeux » de mon lecteur, qu’il imagine des révolutionnaires kamerunais arrivant au pouvoir dans leur désorganisation actuelle, sans milliers de cadres formés. Comment pourraient-ils éviter l’invasion de leur administration par la petite bourgeoisie bureaucratique actuelle, opportuniste à souhait, qui consacre le plus clair de son temps en séminaires, colloques et symposiums, réunions de restitution et autres étrangetés du même genre, à Kribi, au lieu de prendre à bras le corps les problèmes des masses ? Dans une conduite de déni du réel désagréable, ces révolutionnaires ne finiraient-ils pas, comme Gbagbo, par sombrer dans une surenchère révolutionnaire, nationaliste et panafricaniste de verroterie ?

Pour ce qui est de l’intervention des impérialistes (français ici en l’occurrence), ne faisons pas dans le moralisme niais : quoi de plus « normal » ? Où a-t-on jamais vu un impérialisme doux et gentil ?

Et que faut-il faire pour parer aux interventions impérialistes dans nos pays ? La réponse est simple et intransigeante : il faut travailler à faire du peuple un bloc uni et maitre de son destin, y compris en démocratisant fondamentalement le pays, et il faut travailler à faire des peuples africains un bloc uni, pour que les rapports de forces en soient inversés au niveau national, africain et international.

Est-ce ce que Gbagbo a entrepris de faire ? Et comment aurait-il pu réussir, même s’il s’était attelé à cette tâche, avec une administration envahie par des Ivoiritaires hargneux ?

La tragédie de la Côte d’ivoire est celle d’ambitions politiques relativement justes, incarnées dans un parti (le FPI) faible, sans véritable boussole, et sans assise de masses. Au lieu que nous tirions les leçons de cette tragédie qui a transformé Gbagbo (à son corps défendant peut-être) en dictateur et en imposteur, nous nous voilons la face sur les vraies causes du drame ivoirien.

L’impérialisme est le facteur externe et il rencontre un facteur interne favorable ! Les patriotes africains doivent prendre grand soin de travailler à renforcer le « facteur interne. » C’est une tâche urgente à entreprendre tout au long de la lutte pour le pouvoir et avant même l’accession à celui-ci.

Et le fait que Gbagbo n’ait pas tenu dix jours militairement est significatif. Qu’on se rappelle que les combattants pour l’indépendance véritable du Kamerun ont tenu de 1955 à 1972, parfois avec de simples machettes et sans avoir jamais flirté avec le moindre pouvoir, même pas municipal ! Le fait que Gbagbo, après 10 ans au pouvoir, ait tenu à peine une dizaine de jours indique que lui-même et son parti n’avaient de soutien que purement électoral (comme M. Biya) et non pas populaire (comme ce serait l’idéal pour l’opposition révolutionnaire).

Nous avons dans l’histoire du Kamerun un véritable laboratoire de ce que c’est que la lutte contre l’impérialisme. Ce passé est une gigantesque encyclopédie politique vivante à laquelle nous ferions mieux de nous référer de temps à autre. Et on y trouvera que la meilleure manière d’apporter notre assistance à un autre peuple africain, ce n’est pas de vitupérer et larmoyer, ce n’est pas de maudire l’impérialisme et les dieux, mais de créer chez soi un « autre Vietnam ».

Che Guevara recommandait de créer mille Vietnam. Et nous avons au Kamerun les esclavagistes que sont Bouygues, Total, et Bolloré, ce dernier payant aux ouvriers agricoles 15 000 FCFA par mois pour 12 heures de travail journalier. Si ce n’est pas là une manifestation patente de l’impérialisme français, qu’est-ce que c’est donc ? Aider ces ouvriers et d’autres esclaves de la France à s’organiser, c’est aider le peuple ivoirien et les autres peuples (y compris non africains), sans risquer de se tromper de partenaire et d’ennemi, et sans risquer de se tromper de combat.

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