May 2, 2013

Sénatoriales sans enjeux et écran de fumée du rejet des listes du RDPC

Jean Takougang
Par Jean Takougang

Avec la proclamation de l’évidence qui a eu lieu hier à la Cour Suprême siégeant en lieu et place du Conseil Constitutionnel, les Camerounais, même les plus attardés, auront enfin compris que la démocratie que M. Paul Biya leur avait promise n’était pas une démocratie du dialogue, de participation et du consensus, mais une démocratie de l’unanimisme et du fait accompli, paternaliste et infantilisante. Et l’histoire retiendra alors que par un autre coup tordu qui a bousculé sur son passage toutes les dispositions constitutionnelles et les usages démocratiques les plus élémentaires en la matière, M. Biya et le RDPC auront réussi le tour de force d’organiser une élection sénatoriale dont le seul enjeu était de voir comment faire pour éviter de remporter tous les sièges prétendument mis en jeu. Car à l’heure où il convoque opportunément le corps électoral pour les sénatoriales, il sait bien qu’aucun parti politique ne dispose d’autant de conseillers municipaux que son parti dans aucune circonscription électorale qui est la région.

Donc, tous les candidats du RDPC, une fois investis, étaient sûrs d’être élus et n’avaient même pas besoin d’attendre la proclamation de quelque résultat que ce soit pour se faire appeler « Vénérables » et organiser la fête, puisque rien, absolument rien, ne s’opposait plus à une victoire qui s’annonçait automatique et imparable. Mais une telle victoire à la soviétique, de nos jours, a quelques inconvénients. Elle dévoilerait perfidement à la face du monde et surtout aux yeux de la Communauté internationale le visage hideux d’un régime totalitaire qu’un arsenal des plus sophistiqués de fourberies, de subterfuges, d’artifices et de ruses a dissimulé depuis des décennies derrière les oripeaux trompeurs d’une certaine démocratie.


Que faire donc pour éviter un cent pour cent tout aussi inéluctable que fatal ? Les stratèges du RDPC doivent aller chercher au tréfonds de cette imagination dont la fertilité ne leur a jamais fait défaut dans les dosages dans la composition de l’alchimie électorale. La meilleure solution, pour respecter l’esprit et la lettre de la Constitution ainsi que le simple bon sens paysan aurait été d’organiser d’abord les élections municipales et régionales auxquelles auraient participé les anciens et les nouveaux partis et d’où seraient issus des élus susceptibles de mettre sur pied un premier Sénat aussi légal que légitime, aussi acceptable qu’accepté. Mais non seulement ils ne connaissent pas la capacité de nuisance de nouveaux partis, la refonte biométrique s’est entre-temps invitée dans le jeu des inscriptions, l’Opération Epervier et les frustrations diverses ont semé quelques troubles dans les rangs et surtout, l’Onel/Minatd n’est plus là pour les arroser de la même indéfectible générosité qu’en 2007! Cette option devient alors suicidaire. Il faut à tout prix aller aux élections. M. Biya, le RDPC et leurs innombrables commensaux sont face à trois options : ne pas se présenter dans toutes les régions, se présenter dans toutes les régions, mais demander aux conseillers de certaines régions de voter contre eux ou enfin faire invalider certaines de leurs listes.

Ne pas présenter des listes dans toutes les régions alors qu’ils sont majoritaires partout leur semble tout aussi surréaliste et farfelu que demander à leurs conseillers de voter contre leurs intérêts dans certaines régions pour céder leurs sièges à des concurrents. Et rien ne garantit que des consignes aussi inattendues seraient suivies ou ne conduiraient pas à la révolte. Reste la troisième option qui semble présenter beaucoup d’avantages, le plus important étant celui d’utiliser le bras d’une force extérieure pour accomplir la sale besogne afin de ne pas faire comprendre aux régions qui seraient sacrifiées qu’elles n’entrent plus dans leur nouveau plan de reconquête et de conservation du pouvoir. Réflexion faite, Elecam rejetterait un certain nombre de listes, le Conseil constitutionnel réhabiliterait d’autres et les yeux non exercés n’y verraient que du feu. C’est ainsi que l’Ouest et l’Adamaoua sont tombés sous le couperet et n’auront pas de sénateurs RDPC, une décision et un message lourds de significations et de conséquences que ces régions doivent décrypter, comprendre et capitaliser.

Le deuxième avantage est de crédibiliser un Elecam qui, pour n’avoir pas été le fruit du moindre consensus, a toujours été accusé de collusion avec le parti au pouvoir et au centre des feux nourris des projectiles de l’ensemble de la classe politique camerounaise. Depuis le rejet des listes du RDPC, une certaine mise en scène médiatico-politique a fait avaler beaucoup de couleuvres aux faibles d’esprit, en vantant l’indépendance qu’il a conquise, l’impartialité et le sérieux avec lequel il a examiné les dossiers, en allant jusque dans des détails qui auraient semblé anodins pour les autres. Des chœurs de louanges ont été constitués pour louer la bonne organisation d’une élection qui avait à peine plus de dix mille électeurs constitués de conseillers municipaux, c’est-à-dire de gens qui sont des cadres et qui au quotidien gèrent les partis à la base. J’ai même entendu des pince-sans-rire mettre à son crédit le taux de participation élevé, oubliant que la menace de déchéance illégale qui pesait sur les conseillers qui ne prendraient pas part au scrutin, les 50 000 francs et l’institution pour la première fois du vote par procuration pouvaient même permettre aux conseillers décédés de venir voter. J’espère qu’ils ont enfin compris ce qu’il faut donner aux Camerounais pour qu’ils acceptent d’aller massivement voter.

Ces pseudo-rejets des listes du RDPC ont aussi permis de crédibiliser le Conseil Constitutionnel et d’entonner les refrains de l’hymne de l’indépendance retrouvée de la justice camerounaise. La Communauté internationale, tous les mal-pensants, et « autres adeptes de la péroraison creuse » qui ont toujours dénigré les institutions mises en place pour la conduite du processus électoral ont enfin vu que même les listes du RDPC pouvaient être invalidés à la fois par Elecam et le Conseil Constitutionnel. Les faits ne parlent-ils pas d’eux-mêmes ? Avec cet écran de fumée du rejet des listes pour une élection sans suspense et dont le seul enjeu était d’éviter le cent pour cent, le RDPC qui avait peur de se retrouver seul à une élection où tous les sièges lui étaient d’avance acquis, a eu la présence d’esprit de céder quelques « régions affectivement et stratégiquement arides » pour résoudre des problèmes existants et préparer les coups tordus à venir.

Malheureusement qu’il n’y a jamais de crime parfait. Tout serait allé comme sur des roulettes s’il n’y avait pas eu cette liste de l’UDC qui n’avait pas respecté les composantes sociologiques et qui, pourtant, avait traversé le tamis d’Elecam, échappé aux fourches caudines du Conseil Constitutionnel avant d’être abattue en plein vol sur le terrain par la « très haute et infaillible vigilance » de M. Biya lui-même. Son appel à voter contre une telle liste confirme sa totale mainmise sur le processus électoral et avec lui s’effondre le mythe de l’indépendance et du sérieux que l’on voulait échafauder autour d’Elecam et du Conseil Constitutionnel. S’ils avaient aussi bien fait leur travail qu’on le prétend, c’est eux qui auraient invalidé cette liste. Malgré toutes ses ruses, M. Biya et le RDPC auront 86/100, car quoi qu’on dise, la nomination est la recherche d’un alter ego, c’est-à-dire d’un autre soi-même pour faire un travail. Tous ceux qui seront nommés par un homme qui reste à la fois président de la République et du RDPC, devront au Sénat, quand il y a consigne de vote, répondre de M. Biya et de son parti. Le cent pour cent n’aura pas été évité. Que peuvent 14 opposants devant la fougue de 86 sénateurs qui veulent vraiment conserver leur pouvoir ?

Au total, ces sénatoriales, comme toutes les autres élections qui se déroulent dans ce pays depuis deux décennies n’ont été, pour tout dire, qu’une camisole de force, c’est-à-dire cette chemise à manches fermées paralysant les mouvements, que l’on utilise dans les asiles ou les centres psychiatriques pour maîtriser les malades mentaux.

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