Jan 16, 2013

Remember Ernest Ouandié (15 janvier 1971 - 15 janvier 2013)

Mariane-Simon Ekane
par Mariane Simon-Ekane
Membre du Comité National de coordination (CNC) du Manidem

Le courant ne charrie que les épaves ... Le 15 janvier 1971, Ahmadou Ahidjo assassine cyniquement et sauvagement Ernest Ouandié dans sa ville natale de Bafoussam. Le dernier leader nationaliste kamerunais reçoit des dizaines de balles dans le corps et une dans la tête par les soldats de l'armée néo-coloniale. Le régime UNC de l'époque avait fait fermer les établissements scolaires de la ville afin que les jeunes Kamerunais viennent assister au spectacle de l'exécution de leur frère. La terreur de l'Etat voulait ainsi dissuader tous ceux qui tenteraient de suivre l'exemple d'Ernest Ouandié. Quelques mois auparavant, à la suite d'un simulacre de procès, il avait été condamné à mort par le tribunal militaire de Yaoundé. La même sanction fut infligée à Monseigneur Ndongmo (gracié par la suite par Ahidjo) et au sécretaire particulier de Ouandié, Mathieu Djassep, dont la peine fut commuée en prison à vie et qui passa 15 ans en prison. Mathieu Djassep est toujours vivant aujourd’hui, et vit dans un dénuement total. 

Ernest Ouandié avait été arrêté auparavant en août 1970 avec quelques dizaines d'autres nationalistes. A cette période-là, il n’y avait plus en réalité aucune activité du maquis. C'est donc pour punir Ouandié et décourager les patriotes de demain que le régime d'Ahidjo, sa bande et ses "maîtres" français organisèrent cette épisode macabre de l'histoire de notre pays. Ils avaient oubliés, et oublieront toujours ce bon mot du philosophe Dadié : "... on a beau supprimer le joueur de tam-tam, on ne peut rien contre la mélodie que jouait le joueur de tam-tam." En effet, la mélodie d'Ernest Ouandié, joueur émérite du tam-tam de la révolution résonne et résonnera toujours plus fort dans la tête des Patriotes Kamerunais;

Une vie en enfer

La vie d’Ernest Ouandié n'a pas été facile ; il avait choisi la lutte. Très tôt, il a été un agitateur public déclaré, bravant toutes les interdictions. Au Kamerun et à l'étranger, il voyageait sans arrêt pour rencontrer d'autres camarades, d'autres patriotes. Sa famille, ses enfants, sa femme,  c'était le Kamerun, l'avenir du Kamerun. Tous ses choix, il les a totalement assumés, contre vents et marées. Il a toujours été là, disponible. Après l'assassinat de Um Nyobè en 1958, et de Moumié en 1960, Ouandié rentre au Kamerun, au maquis, malgré la répression atroce orchestrée par les troupes françaises aux côtés de l'armée néocoloniale kamerunaise. " Une vie bien remplie est pleine de douleurs ...Et on reconnaît les grands hommes dans leur capacité à souffrir..." (Sénèque). Et Frantz Fanon dit : «Je ne lutte pas aujourd’hui pour vivre heureux demain, je lutte aujourd’hui, et déjà je vis mieux.» Les méthodes employées à l'époque sont les mêmes qu'utilise le régime RDPC aujourd'hui : la politique de la terre brûlée, isoler les patriotes du reste de la population pour mieux les stigmatiser et les fragiliser.

Aujourd'hui encore, la prime est aux lâches, aux résignés, aux "réalistes" comme ils disent. A quoi sert-il de s'engager maintenant alors que la victoire n'est pas certaine ? Vaut mieux un tient que deux auras ;  le camp d'en face est trop fort ; c'est la France qui décide de notre avenir. Ne vaut-il pas mieux un lâche vivant qu'un héros mort ? Ces questions des opportunistes d'aujourd'hui étaient les mêmes du temps de Ouandié. Malgré tout cela, Ouandié est allé au rendez-vous de l'Histoire. Et aujourd'hui, la Kamerunaise lamda que je suis est en admiration devant Monsieur Ernest Ouandié.

"...Je n'ai que du mépris pour Ndongmo, je le ferais gracier. Je respecte Ouandié, donc je le tuerai ..." aurait déclaré Ahidjo à ses proches. On imagine aisément ce que Biya pense de tous les béni oui-oui qui gravitent autour du pouvoir ! Quelle pitié ! Ayons pitié pour eux !!!

Voile sur Ernest

Lorsqu'on parcoure la vie d'Ernest Ouandié, on peut dire sans se tromper que c'est le dirigeant historique de L'UPC qui a le plus porté les difficultés de la révolution Kamerunaise. La vie sous maquis d'Ernest Ouandié (son compagnon Ndjassep Mathieu  nous l'a racontée ) a été un véritable enfer. Les jeunes générations devraient y trouver des sources d'inspiration inépuisables : comment aimer son pays jusqu'à lui consacrer sa vie jusqu'au martyr. Mais paradoxalement Ouandié est le dirigeant historique le moins célébré. A la limite, dans sa région natale, les élites villageoises, et tribalistes l'ont pratiquement banni. Il est vrai, cela rentrait dans les objectifs de la terreur du régime d'Ahidjo. Mais ailleurs, Um Nyobè fait le consensus, même auprès des élites villageoises corrompues du Rdpc. Félix Roland Moumié fait amplement la fierté du peuple Bamoun. Il arrive même que des rétrogrades, comme le sultan Bamoun, ou le féodal Ndam Njoya, leader de l'UDC, prétendent être des héritiers de Félix Roland Moumié. Malgré quelques initiatives récentes de patriotes de l'Ouest, Ernest Ouandié demeure un mal-aimé dans sa région natale. Il est vrai que toute sa vie, Ouandié a été en rupture avec les pratiques d'antan par exemple : épouser une femme hors de sa région. Le Camarade Emile a choisi une femme Bakoko, Marthe Eding, et ça il fallait le faire! C'est à peine si la jeune génération bamiléké sait qu’Ernest Ouandié repose au cimetière Baleng à Bafoussam. Quelle désolation ! L'opportunisme ambiant mais malsain, "l'air du temps" pousse tous les dirigeants politiques et de la société civile à parler abondamment du retour indispensable de la dépouille mortelle de Ahidjo. Mais alors, avant de parler du bourreau, quoique premier président du Kamerun, n'est-il pas plus décent et juste de parler d'abord de ses victimes ou des dépouilles de ses victimes ? Décidemment l'opportunisme politique est une maladie congénitale des héritiers d'Aujoulat, qu'ils soient au pouvoir ou à "l'opposition".

L'érection de Ouandié au titre de Héros national (en 1992) est une plaisanterie de mauvais goût . Elle intervient dans un contexte où le régime RDPC tente de se sortir de l'étau de la contestation populaire. Le président de la République fait dans l'amalgame grossier : la mixture Um Nyobè, Félix Roland Moumié, Ernest Ouandié et ... Ahidjo est politiquement et historiquement indigeste. Et enfin, il n'y a qu'au Kamerun du Renouveau et des grandes " ambitions " que les héros ne sont pas célébrés par la nation, ne serait-ce que le jour anniversaire de leur disparition. D'ailleurs comment le ferait-on alors que prononcer ces noms-là, pour donnerait des cauchemars à ces gens-là ?

Ernest Ouandié est inscrit en lettres d'or dans l'histoire de notre pays. Comme il l'a si bien dit, " le sang des patriotes est une semence de patriotisme. " Et comme toute semence, celle-ci a besoin d'être entretenue par nous, patriotes kamerunais. C'est difficile, ce sera toujours difficile, car en face la réaction est forte, répressive, vicieuse, insidieuse. Elle épouse souvent des formes insoupçonnables. Mais tout cela fait partie de la lutte engagée depuis par Ernest Ouandié, Ruben Um Nyobè, Felix Moumié et les autres. Ils ont refusé d'être les épaves que draine le courant de la compromission et de l'opportunisme. " Le plus lourd fardeau c'est d'exister sans vivre." (Victor Hugo) et, ces épaves-là ne vivent pas. Or, on sait que ce sont les meilleurs poissons qui nagent à contre-courant et tous les pêcheurs vous le diront. Que mon cœur cesse de battre s'il ne bat pas pour le Kamerun.

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