May 19, 2011

Le Kamerun à la croisée des chemins

Par Jean-Emmanuel Mpouma

Le Kamerun se trouve aujourd’hui dans une situation que nous pouvons qualifier de pré-révolutionnaire. En effet, les contradictions internes du système semblent avoir atteint un niveau de développement tel qu’il devient de plus en plus évident pour tout observateur quelque peu sérieux, qu’il ne sera bientôt plus possible ni aux forces conservatrices de Monsieur Biya de gouverner le pays comme auparavant, ni aux masses populaires de continuer à accepter d’être dominées de cette manière.

Depuis la fin de la lutte armée dans les années 70, la vie politique a été marquée notamment par les secousses politiques de 1990, le hold-up électoral de 1992 puis, entre autres, la révolte dite de la faim en février 2008, au cours de laquelle des centaines de kamerunais ont été massacrés pour avoir voulu dénoncer le tripatouillage de la Constitution en vue de permettre une nouvelle candidature de Monsieur Biya à la magistrature suprême. Comme on devait s’y attendre, ces évènements ont été autant d’occasions, pour M. Biya d’affirmer aux yeux du monde entier, sa détermination à s’éterniser au pouvoir coûte que coûte. Durant toutes ces années, les masses se sont enfoncées toujours plus dans les affres de la pauvreté. Toute tentative d’exprimer leurs souffrances a été réprimée pour « subversion ». C’est notamment ce qu’illustre la répression barbare incessante qui s’est souvent soldée par l’arrestation et la torture de (com)patriotes, de journalistes, tandis que d’autres disparaissaient purement et simplement à l’instar de BIBI NGOTA et Jacques Tiwa...

Depuis lors, la vie politique de notre pays est rythmée par la mise en place d’une batterie de mesures destinées à museler le peuple et la presse. C’est ainsi qu’au moment où on assiste à des parades quasi-quotidiennes du RDPC (OFRDPC, OJRDPC, PRESBY et autre JACHABY..), l’opposition ne peut même plus tenir un simple meeting, encore moins organiser la commémoration des compatriotes morts pour la liberté, sans essuyer une répression barbare et des menaces de mort à peine voilées.

La pression des luttes populaires et parfois les « recommandations » de la « Communauté internationale » ont semblé, à certains moments, avoir convaincu M. Biya de la nécessité de s’engager dans la voie des réformes démocratiques. C’est dans cette démarche que devait s’inscrire la création de ONEL1, ONEL2 puis ELECAM.

Les évènements de la Tunisie et de l’Egypte et beaucoup plus proche de nous ceux de la Côte d’Ivoire, ont pu laissé croire un moment que le pouvoir RDPC en avait tiré les leçons.

Mais à entendre vociférer à longueur de journée, aussi bien les partisans de la « Majorité présidentielle » que leurs satellites de l’opposition institutionnelle, on ne peut que constater avec amertume que la myopie politique est l’une de leurs pires infirmités.

John Fru Ndi a véritablement raison de réclamer pour lui seul les 6 nouvelles places créées à la tête d’ELECAM. Il les mérite pour avoir enfin reconnu être à l’origine du coup de frein donné aux luttes populaires depuis vingt ans. Mais qu’il n’oublie quand même pas que d’autres, à l’instar de Frédéric Kodock n’ont pas démérité.

Les Kamerunais, en refusant de s’inscrire sur les listes électorales, ont envoyé un message claire : l’absence totale de confiance en ELECAM. Et comme pour les conforter dans cette position, le gouvernement du renouveau n’a pas trouvé mieux, que de faire adopter par l’Assemblée Nationale un nouveau projet de loi qui constitue un véritable recul, puisqu’il fait désormais, d’ELECAM un simple machin qui ne pourra même plus proclamer les résultats provisoires. Au même moment, le Minadt reprend toute sa place, tandis que la Cour suprême érigée en Conseil Constitutionnel, demeure le verrou de sûreté qui, en dernier ressort, mettrait M. Biya ou tout autre candidat du RDPC à l’abri d’une éventuelle surprise.

Croire dans ces conditions que les élections d’octobre 2011, puissent se dérouler tranquillement (comme d’habitude) serait faire preuve d’une terrible naïveté politique. Car si les Kamerunais refusent de s’inscrire, c’est qu’ils ne veulent plus participer à la mascarade d’une élection dont les résultats sont connus à l’avance. Mais il est à craindre qu’ils ne resteront pas là à regarder faire, en spectateurs passifs. Soyez certains que les Kamerunais ont mûri et ont tiré les leçons de leurs expériences, comme ne croit pas si bien le dire l’ubuesque Emmanuel NKOM.

Nous savons que tous les systèmes politiques se réclamant de la démocratie, en pratique et non pas seulement en théorie, disposent généralement d’un corps de lois et règlements destinés à organiser la gestion directe ou indirecte de la Cité par les détenteurs du pouvoir, à savoir le peuple. Ces lois et règlements prévoient de façon explicite les modalités selon lesquelles le peuple choisit ses représentants, contrôle leurs activités et, en cas de défaillance, les récusent.

Tant qu’aucun élément ne vient perturber le fonctionnement du système, (exemple d’une crise économique, politique ou sociale), les mécanismes mis en place tournent presque normalement.

Mais survienne alors un facteur perturbateur, et que la classe dirigeante se sente menacée dans ses intérêts, elle n’hésite pas et ce de la manière la plus énergique à se servir de ces mêmes lois pour étouffer les revendications populaires.

Lorsque ces mesures ne suffisent pas ou plus, l’Etat lui-même n’hésite pas à contourner tout cet arsenal de lois qu’il s’est construit pour se mettre alors hors–la–loi.

A ce moment, le peuple réalise avoir épuisé toutes les possibilités de la lutte légale : le système ne peut plus être combattu de l’intérieur. Le niveau atteint par les contradictions internes exige des solutions qui ne peuvent être trouvées qu’à travers une contestation « extérieure » du système : c’est la phase de la lutte illégale légitime contre un gouvernement devenu illégal et illégitime.

Pour éviter d’en arriver là, l’opposition dans ses multiples composantes, a proposé à M. Biya :


  1. de ne pas être candidat à la prochaine élection, le résultat immédiat étant d’amener les camerounais dans leur ensemble à réfléchir en termes de reconstruction de notre pays et non d’un éventuel positionnement personnel, et de faire taire toutes les guerres de succession qui se déroulent autour de lui en ce moment ;

  2. d’obtenir de l’Assemblée nationale la prolongation de son mandat de 12 à 24 mois, avec un programme précis, comprenant entre autres, la mise en place d’une véritable ELECAM, d’un fichier électoral, d’un code électoral, du Sénat, du Conseil Constitutionnel, d’une nouvelle Constitution soumise au référendum, etc. ;

  3. de mettre en place un gouvernement d’Union nationale chargé de l’application de ce programme et donc de la gestion d’une transition pacifique ;

  4. de prendre, selon les voies appropriées, toutes les mesures destinées d’une part à récupérer et à restituer au peuple kamerunais tout ce dont il a été spolié et à garantir alors à M. Biya, une sortie et une retraite paisibles, sans aucune poursuite.

Nous demeurons convaincus que le Peuple kamerunais, qui est un peuple plus que patient, saura pardonner à tous ceux qui l’ont offensé, à la condition d’être assuré d’un avenir radieux, pour la construction duquel notre pays regorge d’énormes potentialités tant humaines que matérielles.

S’il n’en était pas ainsi, alors que les caciques du pouvoir et leurs thuriféraires s’apprêtent à porter la responsabilité de tout ce qui pourra arriver lorsque ce peuple aura sombré dans le désespoir total.

L’histoire présente de la Tunisie, de l’Egypte et plus près de nous de la Côte d’Ivoire est en train de tracer la voie. Et les agissements de la « Communauté Internationale », tenue de main de fer par Sarkhozy et Obama ont convaincu des millions d’Africains sur la nécessité de se mobiliser pour l’indépendance réelle de notre continent.

Nous avons vu en Côte d’Ivoire combien coûte cher la quête de la liberté. Mais si c’est le prix à payer, alors…. qu’il en soit ainsi.

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