Apr 27, 2011

A propos de la marche paysanne du 13 mai 2011 à Yaoundé


Par Théophile Nono


Pour la troisième fois en l’espace de cinq ans, l’ACDIC appelle à une manifestation centrée sur les problèmes saillants de l’agriculture camerounaise. Compte tenu du contexte bizarroïde de ce pays, caractérisé par l’extrême faiblesse (léthargie légendaire des camerounais?) des luttes ou mouvements revendicatifs, qu’ils soient simplement citoyens, syndicaux ou même politiques, c’est quelque chose qu’il faut saluer et encourager. Combien de structures associatives s’engagent, en effet, dans une telle démarche protestataire, revendicative ou dénonciatrice ?

Apr 17, 2011

Notre dernier mot sur la Côte d’Ivoire : Revenir à la Raison

Par Ada Bessomo

Enfin pouvoir essayer de raisonner de nouveau, vu du Cameroun, à propos de la Côte d'Ivoire. Et juger à l'œuvre celui que le peuple aura dans sa majorité choisi. Sans complaisance aucune, car là est bien l'enjeu pour certains : que s'installe enfin, dans ces pays d'Afrique, la banale manie de respecter la loi de la majorité des votants. Eux seuls ont droit de se tromper sur un des leurs, et de se corriger le moment venu. L’affaire muée en tragédie ivoirienne ne tenait qu'à cela, au départ : Ouattara, agent double, triple, agent multiple de l'impérialisme occidental, cela  importait très peu. Du moment que les électeurs, bulletin après bulletin, se massèrent derrière son nom plus nombreux que derrière celui de Gbagbo le nationaliste, le Che Bété, le Ghandi, le Mandela, le Samory Touré, le Douala Manga (pardonne-moi), le Mebenga M'Ebono (pardonne-moi), le tout résistant en somme, alors, il s'agissait juste de se résoudre à cette funeste issue. La loi de la majorité ! La volonté bien acceptée du peuple.

Pour beaucoup le VIH se transmet au Cameroun par voies mystiques également. Cette seule occurrence révèle des ramifications inattendues dans les psychologies et les jugements. Ce qui tombe sous le sens importe le moins : deux hommes, formatés par les mêmes moules (même si nul n’ignore que, pour cette génération-là, avoir été formé aux Etats-Unis pouvait apporter un sens de la liberté plus fort, moins d’allégeance aux modèles, réseaux toujours vivaces et actifs de l’ancienne colonie française !), se livrent une compétition acharnée, après en avoir accepté les règles. L’une des règles préalables et acceptées par tous, nœud de l'affaire, édicte ce principe : l'arbitre de la compétition électorale sera un tiers à l'ordonnancement juridique habituel du pays. L’arbitre de l’élection ne sera pas celui des élections déjà vécues dans le pays. C’est la situation de blocage du pays depuis dix ans qui commande cette option. L’élection à venir, sous cet angle-là, signifiait quelque chose de fondamental. Elle remettait les compteurs du passé récent à zéro. Chaque candidat s’engageait à oublier les raisons qui avaient conduit à cette impasse interne. Ceci, tous les candidats l'ont accepté. Voici qui tombe sous le sens.

Or, à Yaoundé, Douala, Bertoua, être un lettré semble devenir synonyme d’habileté à recycler les peurs irrationnelles des villages dans des acrobaties logiques où la raison perd toute légitimité. Vous en entendrez pour cela vous dire que, si le VIH ne se transmet jamais par voie mystique pour vous, celle-ci ne relevant pas de la raison, du vérifiable, alors c'est que vous seriez inféodé aux Blancs ! Vous seriez même un vendu, un traître à la cause dite africaine.

Le refus de la voie mystique traduit en crise ivoirienne : le conseil constitutionnel ivoirien n'était pas habilité, à la fois, à annuler des voix et à déclarer vainqueur Gbagbo, ainsi qu'il l'a fait. Empêcher devant caméras des personnes de donner des résultats, même avec retard, suffisait à s'inquiéter de l'aptitude de l'auteur ou de son camp, à composer avec quelque contrariété, de manière policée. Un accord était là bafoué.

Or, logique du VIH qui se transmet par voie mystique : des pourcentages sont brandis, des calculs avancés, et ce fourre-tout émotionnel, proto-rationnel : Gbagbo formé chez les socialistes français ? Du nationalisme ivoirien pur jus qu'il allait apprendre là-bas ! Gbagbo cornaqué par Guy Labertit, connu pour être la France socialiste en goguette en Afrique ? Du vent, c'est là marque même de résistance aux Blancs ! Gbagbo enrichi à la vitesse du son ? Pour nourrir la résistance aux Blancs ! Gbagbo divorcé d'une Blanche, père de deux enfants avec elle ? Et alors, Ouattara a toujours la sienne, qui sera première dame blanche, horreur ! horreur ! Gbagbo maître d’un armement sans commune mesure avec la courbe de pauvreté des Ivoiriens ces dix dernières années ? La cause, bouter l’impérialisme de la communauté internationale hors de ce pays,  justifiait cela. Les charniers de Yopougon ? Mais qui les a jamais vus ? Les images de Duékoué, elles, crient la sauvagerie de Ouattara le Burkinabé !

De dérive en dérive, l'insulte s’étoile. La logique villageoise elle-même humiliée. Et cette parole qui seule a souvent scellé les amitiés, les réconciliations parmi les hommes ? Elle avait été donnée par tous, à la fois à l’un et l’autre concurrent, et à l’arbitre, que l’on installait par le même mouvement, dans toutes ses prérogatives. La première de toutes n’était-elle pas de respecter son statut ? D’où s’ébranle donc ce procès en trahison soudain grossissant ? D’un magnifique saut périlleux logique autour de ce statut, justement. L’arbitre, reconnu au premier tour par tous, est récusé au second, par l’un des finalistes, celui-là même qui arrivait en tête le tour précédent. Pourquoi ? Il ne serait pas impartial. Soit. Que faire face à l’arbitre, au juge soupçonné de partialité ? Certainement pas le déjuger soi-même, car alors à un vice supposé l’on substituerait au moins deux : être juge et partie est plus grave encore que manquer de transparence. C’est pourtant cela que le monde vit Gbagbo et Yao N'dré faire. Et le nationalisme, le panafricanisme, la lutte contre l’impérialisme devenaient du fait même les manifestations d’une défaite des cœurs.

Apr 15, 2011

Côte d’Ivoire : des leçons pour l’opposition révolutionnaire kamerunaise

par Ghonda Nounga

Tous ceux qui sont en lutte contre des ennemis plus forts (tel l’impérialisme) savent par cœur :
  1. qu’il faut en permanence évaluer les rapports de forces et accorder ses actions tactiques à ce rapport sans jamais perdre de vue ses objectifs stratégiques ;

  2. que quand la mangue tombe avant la période de la cueillette, le paysan ne s’en prend pas au vent, mais examine l’état de la tige car, comme dit le bon peuple, « le vent ne fait que son travail » (comme il est de la nature de l’impérialisme d’être rapace et guerrier !) ;

  3. et que par conséquent, il ne sert à rien de larmoyer, et qu’il vaut mieux « regarder là où on a glissé plutôt que là ou on est tombé » (encore un merveilleux proverbe africain). C’est bien ce que recommandait le poète et militant Agostinho Neto en son temps : « Nous combattrons, les yeux secs. » L’impérialisme a encore frappé en Côte d’Ivoire, c’est plus que vrai. Mais inutile de hurler et maudire les dieux.
L’on en conviendra aisément, pour peu qu’on ait une certaine vision du développement de l’histoire des peuples, le problème en Côte d’Ivoire, contrairement à ce qu’en pense le commun des mortels, n’est pas celui d’une opposition entre deux individus. Bien qu’il n’en ait pas l’air, il renvoie clairement aux conflits de classes en Côte d’Ivoire, du moins tels que ces conflits se déploient depuis l’indépendance de ce capitalisme de périphérie plus ou moins prospère sous Houphouët. Nous ne nous étendrons pas outre mesure sur cet aspect de l’actualité en Côte d’Ivoire. Mais il est bon de noter que dans la crise qui vient de prendre fin, il était aussi vain de détester Gbagbo que d’aduler Ouattara.

En réalité, on doit considérer Gbagbo comme une figure tragique, et il formerait bien le sujet d’une pièce de théâtre à l’instar de La tragédie du roi Christophe (parole de dramaturge !). Voici un homme, avec des idées relativement honnêtes, qui arrive au pouvoir de manière calamiteuse (comme il le dit lui-même), avec un parti - le FPI - idéologiquement et structurellement faible, dans lequel s’engouffreront bientôt les « Ivoiritaires » qui ont servi et sévi sous Bédié quelques années plus tôt.

Pour que l’affaire « saute aux yeux » de mon lecteur, qu’il imagine des révolutionnaires kamerunais arrivant au pouvoir dans leur désorganisation actuelle, sans milliers de cadres formés. Comment pourraient-ils éviter l’invasion de leur administration par la petite bourgeoisie bureaucratique actuelle, opportuniste à souhait, qui consacre le plus clair de son temps en séminaires, colloques et symposiums, réunions de restitution et autres étrangetés du même genre, à Kribi, au lieu de prendre à bras le corps les problèmes des masses ? Dans une conduite de déni du réel désagréable, ces révolutionnaires ne finiraient-ils pas, comme Gbagbo, par sombrer dans une surenchère révolutionnaire, nationaliste et panafricaniste de verroterie ?

Pour ce qui est de l’intervention des impérialistes (français ici en l’occurrence), ne faisons pas dans le moralisme niais : quoi de plus « normal » ? Où a-t-on jamais vu un impérialisme doux et gentil ?

Et que faut-il faire pour parer aux interventions impérialistes dans nos pays ? La réponse est simple et intransigeante : il faut travailler à faire du peuple un bloc uni et maitre de son destin, y compris en démocratisant fondamentalement le pays, et il faut travailler à faire des peuples africains un bloc uni, pour que les rapports de forces en soient inversés au niveau national, africain et international.

Est-ce ce que Gbagbo a entrepris de faire ? Et comment aurait-il pu réussir, même s’il s’était attelé à cette tâche, avec une administration envahie par des Ivoiritaires hargneux ?

La tragédie de la Côte d’ivoire est celle d’ambitions politiques relativement justes, incarnées dans un parti (le FPI) faible, sans véritable boussole, et sans assise de masses. Au lieu que nous tirions les leçons de cette tragédie qui a transformé Gbagbo (à son corps défendant peut-être) en dictateur et en imposteur, nous nous voilons la face sur les vraies causes du drame ivoirien.

L’impérialisme est le facteur externe et il rencontre un facteur interne favorable ! Les patriotes africains doivent prendre grand soin de travailler à renforcer le « facteur interne. » C’est une tâche urgente à entreprendre tout au long de la lutte pour le pouvoir et avant même l’accession à celui-ci.

Et le fait que Gbagbo n’ait pas tenu dix jours militairement est significatif. Qu’on se rappelle que les combattants pour l’indépendance véritable du Kamerun ont tenu de 1955 à 1972, parfois avec de simples machettes et sans avoir jamais flirté avec le moindre pouvoir, même pas municipal ! Le fait que Gbagbo, après 10 ans au pouvoir, ait tenu à peine une dizaine de jours indique que lui-même et son parti n’avaient de soutien que purement électoral (comme M. Biya) et non pas populaire (comme ce serait l’idéal pour l’opposition révolutionnaire).

Nous avons dans l’histoire du Kamerun un véritable laboratoire de ce que c’est que la lutte contre l’impérialisme. Ce passé est une gigantesque encyclopédie politique vivante à laquelle nous ferions mieux de nous référer de temps à autre. Et on y trouvera que la meilleure manière d’apporter notre assistance à un autre peuple africain, ce n’est pas de vitupérer et larmoyer, ce n’est pas de maudire l’impérialisme et les dieux, mais de créer chez soi un « autre Vietnam ».

Che Guevara recommandait de créer mille Vietnam. Et nous avons au Kamerun les esclavagistes que sont Bouygues, Total, et Bolloré, ce dernier payant aux ouvriers agricoles 15 000 FCFA par mois pour 12 heures de travail journalier. Si ce n’est pas là une manifestation patente de l’impérialisme français, qu’est-ce que c’est donc ? Aider ces ouvriers et d’autres esclaves de la France à s’organiser, c’est aider le peuple ivoirien et les autres peuples (y compris non africains), sans risquer de se tromper de partenaire et d’ennemi, et sans risquer de se tromper de combat.

Apr 8, 2011

Elecam 1, Elecam 2, Elecam 3 ou la faillite du régime Rdpc

Par Abanda Kpama (Président du Manidem)

Avec le projet de loi que le Gouvernement vient de déposer sur la table de la Représentation Nationale, on peut affirmer que le régime Rdpc a définitivement tourné le dos à une solution durable de la grave crise politique et morale dans laquelle notre pays se débat depuis au moins deux décennies.

Contraint d’une part par les luttes récurrentes des Kamerunais qui exigeaient le multipartisme et la démocratie, et d’autre part par le contexte international du vent de l’Est, M. Biya et ses amis du Rdpc ont accédé à la revendication de la libération du jeu politique au début des années 90, mais juste du bout des lèvres. La culture démocratique subséquente à une volonté politique affirmée de changement, est restée étrangère aux tenants du pouvoir. Les idéologues et pontes du Rdpc n’ont jamais abandonné la culture du monolithisme et du fait accompli. De telle sorte que les problèmes que connaît notre pays n’ont pas pu trouver de solutions durables. Que de fois patriotes et démocrates ont appelé à des assises nationales incluant toutes les forces vives de la nation : partis politiques, syndicats, congrégations religieuses, chefs traditionnels, Ong, etc., pour élaborer de manière consensuelle un pacte social, une constitution et un code électoral. Cette démarche aurait eu l’avantage de doter le pays d’institutions consensuelles, c'est-à-dire acceptées par toutes les catégories et classes sociales kamerunaises. Personne ne prétend que de telles institutions seraient parfaites mais elles auraient au moins l’avantage d’avoir été élaborées par tous et seraient donc un socle solide pour la stabilité de la nation.

Toujours dans la logique du monolithisme, le pouvoir Rdpc tient en horreur l’idée de l’alternance politique. A un point tel que 20 ans après les lois sur la liberté d’association, les Opposants politiques, les syndicats autonomes, les leaders d’opinion et les médias indépendants sont toujours considérés comme des rebelles ; exactement comme en 1962, sous Ahidjo et Fochive, avec la fameuse ordonnance sur la subversion. Plus de 20 ans après les lois sur la liberté d’association, il n’existe toujours pas un statut pour l’Opposition politique. L’Administration, entièrement aux ordres du Rdpc, et les forces de l’ordre, continuent de traiter d’honnêtes citoyens kamerunais comme des bêtes sauvages qu’il faut éliminer, au seul tort qu’ils n’appartiennent pas au parti au pouvoir. Dans cet univers de l’intolérance, imaginer que d’autres forces politiques ou sociales prennent le pouvoir relève du mythe. L’architecture politique et juridique des institutions du régime Rdpc est ainsi faite que l’alternance politique à la tête de l’Etat et au Parlement est impossible.

L’exemple d’Elecam est illustratif de la faillite morale du pouvoir Rdpc. Le Minatd ayant fait l’unanimité contre lui dans l’organisation des élections, M. Biya a fait une première concession au Peuple kamerunais qui réclamait un organe indépendant pour gérer le processus électoral. Cette concession, il l’a appelée Onel 1, un observatoire, rien de plus. Devant la pression des Kamerunais, il a sorti Onel 2, rien de mieux. C’est alors que le jeu complexe des aspirations légitimes des populations kamerunaises et des intérêts des partenaires occidentaux du Kamerun ont amené M. Biya à créer Elecam. On a cru à une avancée. On a même failli applaudir. Mais à peine votée, la loi sur Elecam a été violée par le même Gouvernement qui l’a conçue. Le Conseil Electoral a été composé à 100% par les pontes du Rdpc en violation flagrante de l’esprit et de lettre de la loi. Mais plus grave a été la modification de la loi sur Elecam avant même sa mise en route pour… réintroduire le tristement célèbre Minatd dans le processus électoral ! C’est ainsi qu’est né Elecam 2. La dernière actualité sur Elecam donne à comprendre que le régime de M. Biya a tiré les conséquences dans la crise postélectorale ivoirienne. Elecam ne pourra même plus proclamer les résultats provisoires des élections. Cette prérogative ainsi que la proclamation définitive sont dévolues au Conseil Constitutionnel c'est-à-dire, en fait, à la Cour Suprême. Quand on sait le type de rapports que M. Biya entretient avec la Cour Suprême, on peut deviner quel type de résultats cette dernière institution serait amenée à proclamer dans une élection où M. Biya serait candidat.

L’embrouillamini autour des différentes modifications de la loi sur Elecam est tel qu’en y regardant de près, on en arrive à se demander à quoi servira désormais le Conseil Electoral. Les élections étant organisées par la Direction Générale d’Elecam sous le contrôle très strict du Minatd, les résultats, même provisoires étant proclamés par la Cour Suprême, le Directeur Général d’Elecam n’étant pas soumis au Conseil Electoral, ce dernier est devenu un organe vide, sans objet ; alors, qu’il y ait 12, 18 ou 24 membres au Conseil Electoral, cela ne change rien. M. Biya, dans un de ses tours de passe-passe dont il a seul le secret, a réussi à verrouiller, à son profit et au profit de son parti, le système électoral. Avec Elecam 3, on est dans une reculade explicite. La faillite est consommée. Car, être amené à modifier à deux reprises une loi avant sa mise en application et alors qu’on a conçu et élaboré la loi sans concertation avec les autres forces sociales et politiques du pays, traduit la déroute politique et morale du régime Rdpc. Inutile d’évoquer amplement la méthode, outrageusement anti démocratique, qui consiste à déposer les projets de loi à la dernière minute, privant ainsi les députés de la possibilité d’un examen sérieux de ces projets.

Notre sentiment est qu’en refusant l’alternance et en verrouillant le jeu politique, sans que par ailleurs les problèmes économiques et sociaux des Kamerunais ne trouvent un début de solution, M. Biya entraîne inéluctablement le Kamerun vers une crise majeure avec risque d’implosion.

Apr 2, 2011

Côte d’Ivoire : la ruine presque cocasse de l’intellectualité au Kamerun

Par Ghonda Nounga

La grande faillite des intellectuels africains au sujet de la Côte d’Ivoire provient de ce qu’ils n’ont pas su (ou pu ?) réajuster leurs schèmes d’analyses à la nouvelle géopolitique mondiale subséquente à la chute du stalinisme en URSS. Ces intellectuels se croient encore en pleine guerre froide. Et pourtant, l’ingénu de Voltaire, qui vit et survit dans les élobis de nos quartiers, a quitté le manichéisme de la guerre froide depuis belle lurette. Mais nos Jean-Paul Sartre locaux (ou diasporés) s’y complaisent encore, se soutenant les uns les autres dans un chorus d’idées branlantes.

Or l’impérialisme lui-même s’est réajusté après la chute de l’URSS ! Dans sa quête d’un nouvel ennemi à brandir pour justifier ses actes de prédation, il s’est tourné vers ses propres fabrications antérieures : les talibans. Et ces talibans ne sont en réalité qu’une maigre poignée de gens dont Washington et ses amis pourraient se débarrasser en un tournemain. Mais alors, quel autre justificatif auraient-ils alors pour leurs perpétuelles guerres de rapine ?

Par ailleurs, et le plus sérieusement du monde, leurs idéologues (et quelques dirigeants états-uniens) ont envisagé une « guerre des civilisations » contre les pays musulmans. L’impérialisme, nous l’a dit Lénine il y a belle lurette, a besoin de la guerre comme l’organisme animal a besoin de sang.

Avec le soulèvement des peuples arabes, l’impérialisme, pour ne pas être pris à défaut comme nos intellectuels « progressistes », cherche à nouveau à se réadapter. Car, que peut ouvertement cet impérialisme contre des peuples qui, s’emparant de ses propres professions de foi universalistes pour la démocratie et les droits de l’homme, se dressent contre les dictatures dont cet impérialisme était le soutien inconditionnel ? Et l’on comprend qu’Obama, Sarkozy et leurs copains veuillent désormais prendre les devants pour éviter la radicalisation de ces révoltes.

Et que disent nos intellectuels demeurés face à ces nouveaux enjeux ? Dans le droit fil de leurs interprétations oiseuses de ce qui se passe en Côte d’Ivoire, ils inventent le mythe selon lequel ce sont Obama, Sarkhozy et leurs copains qui seraient derrières les révoltes arabes, déniant ainsi aux peuples la capacité de se révolter pour tenter de prendre leur destin en main. Drôle de posture intellectuelle quand on est Kamerunais et qu’on a connu (au moins par ouï-dire) la gigantesque épopée du peuple kamerunais sous la direction de l’UPC !

Pour ce qui est de la Côte d’Ivoire, quelle est sa place dans le schéma ci-dessus esquissé de manière sommaire ? Les choses sont d’une simplicité à faire pleurer : sous Houphouët comme sous Gbagbo, la Côte d’Ivoire a été et reste la « propriété » de la France, laquelle, dans une sorte de gentlemen’s agreement, autorise ses alliés impérialistes à y faire des affaires. Avec Ouattara, la situation ne sera certainement pas différente. Mais ici, l’avantage pour le peuple ivoirien et l’Afrique en général, c’est que la démocratisation de la vie politique et l’alternance constituent déjà en elles-mêmes un grand pas vers la conscientisation et la politisation des masses. Pour le comprendre, il ne suffit que d’imaginer le formidable souffle qui soulèvera le Kamerun quand Biya s’en ira, quel que soit par ailleurs son successeur !

Gbagbo aurait dû comprendre et mettre en pratique ce principe d’un forumiste kamerunais : gouverner pour le bien-être de son peuple, instaurer la démocratie de manière à ce que ce peuple soit le souverain maitre de son destin et qu’il puisse mettre et démettre ses dirigeants, c’est, quoiqu’on puisse en dire, gagner déjà une bataille contre l’impérialisme.

Mais Gbagbo ne pouvait le comprendre. Il était aussi anti-impérialiste que moi je suis pape.

Les dieux en soient remerciés, l’URSS staliniste est tombée. Sinon, en CI, nous aurions vu les Occidentaux soutenir Ouattara tandis que ladite URSS aurait soutenu l’usurpateur Gbgabo. Et la guerre aurait duré un siècle pour la plus grande satisfaction « anti-impérialiste » de ces étranges intellectuels que sont Calixte Beyala, Gaston Kelman et d’autres qui, s’ébrouant dans un avatar de négritude (à rebours), expulsent joyeusement les Nasser du panafricanisme en le confondant allègrement avec le « pan-négrisme. »

Qu’est-ce qu’il serait utile, pour les temps à venir, de passer en revue l’illogisme et la rhétorique des bas-fonds qui ont accompagné la célébration béate du « panafricanisme » et de l’« anti-impérialisme » de l’imposteur Gbagbo ! Parce que l’histoire ne prend pas de congés ; parce qu'elle ne prend pas de vacances ; et parce que nous devons rester lucides et vigilants au possible.